Communication

Entretien avec Ibuka Ndjoli, l’entrepreneur qui va révolutionner l’édition en Afrique

Les 5 valeurs fondamentales du blog du disrupteur

Cette rencontre figure au rang des plus étranges que j'ai faites. J'ai découvert Ibuka Ndjoli par le truchement de ses écrits, sur l'insistance d'une lectrice ;

"tu connais Marcus Da Writer ?"

 La question, posée par le biais de ma messagerie, m'a pour le moins intriguée. 

« Non » ai-je répondu, avec le sentiment que j’aurais dû savoir de qui elle parlait. « Il faut que tu le lises ! » m’a intimée la demoiselle, avant de me demander mon adresse e-mail pour m’envoyer un de ses livres. « Il faut » pas « tu devrais ».  Ce n’était pas la première à m’interpeller ainsi, il fallait que je m’affranchisse de ma méconnaissance avant la fois suivante.

Je me souviens m’être demandé, en le lisant pour la première fois : « c’est qui ce mec ? » Seul un fou pouvait écrire les lignes que j’avais sous les yeux. Nos entretiens suivants ont confirmé cette première impression, ainsi que le sentiment persistant qu’il allait se passer quelque chose. Ce quelque chose, je voulais en être, alors je me suis attachée à ses pas. Cela fait cinq mois à présent et je ne sais toujours pas si c’est un fou ou un visionnaire. Une chose est sûre néanmoins : ce vieil* homme a fait un pari avec l’avenir, un pari qu’il est en train de relever avec sa vie.

Marcus Da Writer, de son vrai nom Ibuka Ndjoli est un écrivain, un éditeur et un serial entrepreneur africain. Le Kusoma Group est son dernier-né.


Etude de cas : bilan des activités de Kusoma Group 2 ans après

Pourquoi Kusoma Group est en train d’échouer (1)

Pourquoi Kusoma Group est en train d’échouer (2)

Kusoma Group disparaît (encore) avec l’argent de ses clients


 

Le disrupteur : Bonjour Marcus.

Ibuka Ndjoli : Bonjour.

L.D.: Si vous deviez choisir de mourir pour une cause, laquelle serait-ce ? 

I.N.: Cette question est difficile. Je ne pense pas que mourir pour une cause, quelle qu’elle soit, aide la cause en question. L’idéal serait de demeurer en vie pour poursuivre le combat. Cela dit, si aucune autre issue m’est possible, je pense que la cause pour laquelle je donnerai ma vie est celle concernant les enfants.

L.D.: Pourquoi ?

I.N.: La raison est simple. Je m’inspire du proverbe indien qui dit que la terre n’est pas un don de nos parents, ce sont nos enfants qui nous la prêtent. Ces enfants reviendront nous la réclamer. Il est donc de notre devoir de leur laisser une terre sur laquelle ils se plairaient. Je considère cela comme une mission qui nous est confiée.
Aussi, je pense que si nous voulons bâtir un meilleur monde, nous devons investir dans les plus petits et faire en sorte que les valeurs qui nous manquent aujourd’hui et qui ont fait que nous naviguons dans des eaux troubles, leur soient inculquées.

L.D.: On doit souvent vous poser cette question mais : pourquoi l’entrepreneuriat, et pourquoi l’Afrique ?

I.N.: Je pense que l’entrepreneuriat est juste une réponse à un besoin que je nourris depuis mon plus bas âge : être utile. Enfant, j’allais dans la cuisine demander à ma mère si elle avait besoin d’aide, ou j’allais retrouver mon père et lui demandais de me dire comment l’aider. A l’école, lorsque mes camarades ne comprenaient pas une chose, je me portais volontaire pour le leur expliquer. Je ne me suis jamais senti aussi bien qu’en aidant les autres. Et au-delà de cela, je voulais être autonome, n’être un fardeau pour personne. C’est d’ailleurs ce qui m’a permis d’apprendre de nombreuses choses en autodidacte. Si on ajoute à cela la curiosité qui me caractérise et cette envie de création qui brûle en moi, on comprend très vite que l’entrepreneuriat est la voie qui me convient. J’ai, en entrepreneuriat, l’opportunité de satisfaire ma curiosité, tout en étant utile aux autres et autonome. Cela ne veut pas dire que je suis un mauvais employé. Je suis un bon employé lorsque j’ai suffisamment de liberté dans mes actes, or, cela est impossible. lorsqu’on est en entreprise, il faut suivre les directives et toucher son salaire. Cela ne me convient pas.

Le choix de l’Afrique s’explique simplement. J’ai eu la chance de voyager un tout petit peu et voir du pays. J’ai été émerveillé devant les réalisations de jeunes d’autres régions du monde, et cela m’a frustré de voir que chez nous, l’on ne stimule pas cette créativité; l’on pousse plutôt les jeunes vers des avenirs faits sur mesure. Au-delà de ce fait, il y a le problème de l’immigration clandestine. L’on a ancré dans la tête des Africains que la réussite n’est possible qu’en Occident, pour mille et une raisons que d’aucuns trouvent justifiées. Cela fait que de nombreux jeunes se disent qu’il est impossible de réussir en Afrique, et passent leur temps à chercher le moyen de gagner l’Europe ou l’Amérique, au lieu de faire en sorte que leur Afrique soit aussi attirante que l’est l’Occident. J’ai choisi l’Afrique pour prouver à ces jeunes qu’il est possible de trouver sur ce continent ce qu’ils vont chercher ailleurs. Toutefois, je ne suis pas contre le fait de voyager. Je pense que voyager étend les idées et rabat l’amour-propre. Mais lorsque vient l’heure de bâtir quelque chose, il vaut mieux le faire chez soi. Voilà pourquoi l’Afrique.

« lorsque vient l’heure de bâtir quelque chose, il vaut mieux le faire chez soi » – Ibuka Ndjoli

L.D.: Diriez-vous que ce sont les autres qui vous drive ?

I.N.: Les autres? Non! Je ne dirai pas cela. Dans les Damnés de la Terre, Frantz Fanon dit que chaque génération doit découvrir sa mission, la remplir ou la trahir. Je pense que c’est ce qui me conduit. Je ne fais que remplir ma mission. Etre conduit par les autres, c’est aussi, en quelque sorte, essayer de leur plaire, ce qui n’est pas mon cas. Je fais ce que je pense avoir à faire. Je veux partir en sachant que j’ai fait ce que je pensais juste.

L.D.: Certaines personnes naissent avec le sens de leur destin, une vision claire de ce qu’est leur mission sur terre. Diriez-vous que vous en faites partie ?

I.N.: Je ne suis pas d’accord avec cette pensée. A mon sens, l’on ne naît pas avec le sens de son destin ou la connaissance de sa mission sur terre. Je pense plutôt que vient un moment où on découvre cette mission. D’aucuns passent leur vie entière à la chercher, s’essayant à plusieurs choses et les abandonnant aussi rapidement. Selon moi, c’est là une erreur. Cela ne se force pas. C’est comme un don. On ne court pas après lui, il survient un jour et l’on réalise qu’on l’a. Lorsque vous serez prêt, votre mission se révélera naturellement à vous, qu’importe votre âge. Ce sera comme une évidence. En attendant cela, le mieux est de vivre sa vie de sorte à ne pas avoir de regrets. Mandela ne pensait pas qu’il ferait ce qu’il a fait étant enfant. Martin Luther King, Gandhi, Marcus Garvey et tous les autres grands noms ne le savaient pas non plus. Lorsque le moment de découvrir leur mission est arrivé, ils l’ont su, et c’est alors qu’ils sont devenus les personnes que nous connaissons. En ce qui me concerne, j’ignore encore si j’ai découvert ma mission sur terre. Ce que je sais, c’est que je remplis ma mission en tant qu’être humain, laquelle est, à mon sens, la même pour tous. Mais au-delà de cette mission, il y a celle qui m’est propre. Peut-être l’ai-je découverte, peut-être suis-je en train de me fourvoyer et que je la découvrirai plus tard. On le saura lorsque je ne serai plus.

L.D.: Avez-vous des regrets ?

I.N.: Non! Heureusement, je n’ai tué personne. C’est la seule chose que j’aurais pu véritablement regretter. J’ai commis des erreurs et sans doute blessé des gens, mais j’ai appris de ces choses afin de ne plus les répéter. Ce sont donc des leçons. Je pense que tout ce qui nous arrive, de bien ou de mal, fait de nous ce que nous sommes. Alors, non je n’ai pas de regrets.

L.D.: Y a-t-il quelque chose qui vous a manqué lorsque vous étiez jeune ?

I.N.: Difficile de répondre à cette question. Lorsqu’on est jeune, il nous arrive d’envier les autres, parce qu’on pense qu’ils sont plus nantis, plus choyés, plus outillés. Mais, en grandissant, on découvre que ce que l’on pensait être des handicaps étaient plutôt des forces. Par exemple, j’ai passé 6 ans sans aller à l’école. Il m’arrivait d’envier ceux qui y allaient et se faisaient des amis. Mais cela m’a rapproché des livres et permis de stimuler ma créativité, cependant qu’eux se faisaient formater. Alors, c’est difficile de répondre à cette question. Toutefois, jetant un regard sur le rétroviseur de ma vie, je me dis que j’aurais aimé avoir certaines choses, comme j’aurais aimé savoir certaines choses. C’est ce que j’essaye d’apporter à mes cadets.

L.D.: Comme dans ce livre, Ces choses que j’aurais voulu qu’on me dise lorsque j’étais plus jeune* ?

I.N.: Exactement. Comme je l’ai écrit dans le livre, ce bouquin, j’aurais voulu l’avoir lorsque j’étais plus jeune. Cela m’aurait permis de mieux m’orienter. L’on dit souvent aux plus jeunes « tu comprendras lorsque tu seras plus grand », alors qu’il s’agit parfois de choses cruciales pour leur futur. Un exemple est le choix des filières d’études. De nombreux élèves pensent par exemple que la filière scientifique est réservée aux plus intelligents et la filière littéraire aux moins intelligents. Beaucoup choisissent leur orientation sur cette base. Or, cela n’est pas vrai. L’on doit choisir la filière qui convient à nos aspirations et non celle qui nous fera passer aux yeux des autres pour quelqu’un d’intelligent. D’ailleurs, l’intelligence est relative. Einstein disait que tout le monde est un génie. Mais si l’on juge un poisson sur sa capacité à grimper à un arbre, il passera sa vie à croire qu’il est stupide. Et c’est ce qui arrive aux littéraires qui se retrouvent en Science ou aux scientifiques qui se retrouvent en Littérature.
Je pense en outre qu’on ne dit pas assez aux jeunes qu’ils ont la capacité de faire n’importe quoi. Avec la détermination et la patience, tout est possible.

L.D.: Les jeunes aspirants entrepreneurs disent souvent que l’argent est un frein à leur ambition, quelle est votre opinion à ce sujet ?

I.N.: Je ne dirai pas qu’ils ont tort, mais je pense que ce n’est pas une plainte sérieuse. Vous dites « aspirants entrepreneurs », cela veut dire qu’ils veulent entreprendre, mais ne se lancent pas par manque d’argent. La responsabilité, je la rejette aux institutions qui font miroiter à ces jeunes des financements pour leurs projets. Si personne ne parlait jamais de financement, ils iraient chercher le moyen de bâtir ce qu’ils veulent bâtir et ne se plaindraient plus de ce problème du manque d’argent. Il faut savoir que tous les grands entrepreneurs que nous connaissons n’ont pas eu un financement au début de leur aventure. Chacun d’eux a dû ruser pour réaliser son projet. Certains ont pris l’argent de leur scolarité pour démarrer, d’autres ont vendu le matériel dont ils disposaient, et il y a aussi ceux qui ont emprunté à leurs parents ou amis pour se lancer. L’on dit souvent que ceux qui veulent réussir s’en donnent les moyens, les autres trouvent des excuses. Les aspirants entrepreneurs d’aujourd’hui veulent la réussite des entrepreneurs qu’ils admirent sans passer par les difficultés que ceux-ci ont connues et faire les sacrifices qu’ils ont faits. Cela n’est pas possible. Entreprendre n’est pas facile, et c’est pour toutes ces raisons. Il faut que ces aspirants entrepreneurs comprennent que personne ne leur doit rien, et que s’ils veulent quelque chose, ils doivent se battre pour l’avoir. Cette excuse du manque d’argent ne tient plus. Juste un exemple : une jeune Ghanéenne de 15 ans a lancé son entreprise de fabrication de vélos en bambous en mobilisant les fonds de départ auprès de ses camarades de classe. Si elle a pu le faire, d’autres peuvent également trouver le moyen de mobiliser ce qu’il leur faut pour démarrer. On ne doit pas chercher un financement pour démarrer. On doit le chercher pour croître.

« ceux qui veulent réussir s’en donnent les moyens, les autres trouvent des excuses » – Proverbe arabe

L.D.: « On doit le chercher pour croître ». Comment peut-on croître en tant qu’entrepreneur justement ?

I.N.: Lorsque je le disais, je faisais allusion à la boîte ou start-up. Démarrer sa boîte et la faire croître. Cependant, je pense aussi qu’un entrepreneur peut croître. Je dis souvent que ce qu’il y a de vraiment génial dans l’aventure entrepreneuriale, outre l’impact que l’on peut avoir sur les autres, c’est l’apprentissage. Je disais précédemment que voyager permet de rabattre l’amour-propre. L’aventure entrepreneuriale a également ce pouvoir. On apprend l’humilité, l’écoute, l’empathie, et plusieurs autres choses qui nous grandissent en tant que personne, sans oublier que l’on développe également notre créativité. On lie souvent le développement personnel, le leadership et l’entrepreneuriat pour cette raison.

L.D.: Quelles sont les qualités qui font un bon entrepreneur, selon vous ?

I.N.: Je pense que la première des qualités d’un entrepreneur est l’empathie. De là découlent d’autres telles que celles précitées : l’humilité, l’écoute, la créativité. A cela il faut ajouter la patience, la détermination, la persévérance, la sociabilité et la confiance en soi. C’est un plus s’il est un leader.

L.D.: Le leadership est un thème récurrent dans vos écrits, pourquoi ?

I.N.: Premièrement, c’est parce que je pense que l’un de nos plus grands problèmes est celui du leadership. Un leader est une personne qui porte une vision, qui ouvre le chemin, qui sert d’exemple, et qui conduit ceux qui le suivent sur la voie de la découverte et de l’exploitation de leur propre potentiel. Très peu de dirigeants de nos pays sont de véritables leaders, ce qui explique le chaos dans lequel se trouvent ces pays.
La deuxième raison est que je pense qu’un entrepreneur se doit d’être un leader. Les entreprises menées par des entrepreneurs qui sont des leaders sont des entreprises qui bénéficient aux populations (à la différence de celles qui les exploitent) et permettent à leurs employés de découvrir, exploiter leur potentiel et être heureux en faisant ce qu’ils font. Bien que le mot soit importé, on retrouve les qualités du leader chez les rois, chefs de villages et autres dirigeants d’autrefois. Leurs peuples étaient prêts à mourir pour eux parce qu’ils le valaient bien, et surtout parce qu’eux-mêmes étaient prêts à mourir pour leur peuple. Peu de dirigeants peuvent aujourd’hui en dire autant.

L.D.: L’Afrique, encore. Ce continent semble au cœur de tout ce que vous faites. De quelle nationalité êtes-vous ?

I.N.: Oui, il l’est. J’aime à dire qu’africain est ma nationalité. Mais dernièrement, quelqu’un m’a rétorqué que nationalité faisait référence à une nation et non un continent. Alors, je pense que je n’ai pas encore de nationalité. Je suis un produit de tous les pays que mes pieds ont foulés, aussi m’est-ce impossible de me dire appartenir à l’un d’eux. Disons que je suis africain avec des origines partagées entre le Congo, la Côte d’Ivoire, l’Afrique du Sud et le Sénégal.

L.D.: Vous cumulez plusieurs casquettes, dont celles d’auteur, de formateur* et de serial entrepreneur. Comment gérez-vous toutes ces activités ?

I.N.: Est-ce véritablement plusieurs casquettes? Un auteur est un entrepreneur, si l’on y regarde de plus près. Il travaille sur un produit qu’il propose à des consommateurs. Et un formateur (quoique je ne me définisse pas comme tel) est aussi un entrepreneur. J’apprends en tant qu’entrepreneur et transmets cela à d’autres afin qu’ils puissent également exploiter leur potentiel. Mais parlons de la gestion du temps. La seule difficulté, c’est lorsque je travaille sur un bouquin. Ecrire est une activité solitaire qui exige que l’on s’écarte quelque peu du bruit du monde dit réel pour entrer dans l’univers de ce que l’on écrit. Or, l’entrepreneuriat exige que l’on soit tout le temps présent, que l’on fasse de la veille. Il faut donc sacrifier l’une de ces activités pendant un moment pour se focaliser sur l’autre. Pour ce qui est des « formations », elles trouvent aisément leur temps, car elles font partie des tâches de l’entrepreneur. Il m’était autrefois difficile d’accorder du temps à d’autres choses, mais depuis quelque temps, j’essaye de trouver l’équilibre. J’ai appris à mes dépens qu’il n’y a pas un temps pour travailler un autre pour s’amuser et profiter de ses proches; il n’y a qu’un seul temps, et c’est pour vivre.

L.D.: Vous êtes un pionnier dans le secteur de l’édition numérique en Afrique, cela ne vous effraie pas ?

I.N.: Non, du tout. C’est un challenge et j’aime les challenges. Je vous disais plus tôt qu’un leader se devait d’ouvrir la voie. Cela signifie aussi qu’il devra être le premier à affronter les difficultés qui se trouveront sur le chemin. Ceux qui viendront après trouveront une voie balisée et n’auront pas nécessairement à faire face aux mêmes difficultés. C’est donc ce qui me motive. Je me dis que nous le faisons pour nous et pour tous ceux qui, s’inspirant de nous, voudront faire la même chose. Il faut aussi noter que si la structure est récente, l’activité en tant que telle ne l’est pas. Ce que je fais aujourd’hui pour les œuvres des autres, je l’ai fait avec mes propres œuvres, d’aucuns disent avec brio.

L.D.: Ce sont elles qui vous ont convaincu que l’Africain pouvait lire ?

I.N.: Pas nécessairement elles. L’Africain peut lire et lisait déjà bien avant que je ne vienne au monde. Le problème ici est qu’il ne se lisait pas, ou très peu d’Africains se lisaient. J’ai commencé à lire très tôt, et pourtant, ce n’est qu’en 2010, à cause du programme Europe-Afrique de Science Po Paris, que j’ai découvert la littérature africaine d’expression française. Il ne faudrait pas croire que c’est parce que les Africains n’écrivent pas. Les Africains écrivent, même s’ils sont un faible nombre en comparaison des autres régions du monde; le problème est que leurs écrits ne sont pas toujours disponibles sur leurs terres, et lorsqu’ils le sont, ils ne sont pas financièrement accessibles aux populations. Voilà pourquoi on ne lit pas beaucoup en Afrique.

L.D.: Avez-vous peur parfois ? Des risques que vous prenez, des enjeux si vous en veniez à échouer… Ou à réussir d’ailleurs.

I.N.: A cette question, je réponds toujours que je ne m’engage dans une affaire si j’ai peur d’y échouer. Parce que je pense qu’avoir peur d’échouer est déjà un échec. Ce qu’il faut faire, c’est mettre toutes les chances de son côté afin d’éviter cet échec. Entreprendre, c’est un peu comme vivre. On sait tous que la mort nous guette à tout moment et qu’on peut y passer à n’importe quelle heure, et pourtant, cela ne nous empêche pas de vivre, de faire des programmes, de se projeter dans l’avenir, comme si cet avenir était une promesse. C’est parce qu’on croit qu’on y sera qu’on y arrive. Il peut arriver qu’on meurt en cours de chemin; toutefois, l’important est qu’on aura vécu pleinement le temps qui nous aura été accordé. Si on se met à avoir peur de mourir, on ne vivra plus. On sera tout le temps sur nos gardes et on mourra peut-être bien plus tôt que prévu. Il en va de même pour l’entrepreneuriat. Tout ce qu’on peut faire, c’est croire et avoir l’assurance qu’on va réussir, même si l’échec nous guette à tout instant. Heureusement, à la différence de la vie où la mort symbolise la fin de la vie, on peut toujours se relever après un échec en entrepreneuriat. Pourquoi se pourrir le voyage en pensant au crash, à l’échec? Non, je n’ai pas peur et n’y pense même pas.

L.D.: Vous arrive-t-il de douter ?

I.N.: Comme tout le monde, oui. Douter est humain. Ce qui est important, c’est ce qu’on fait de ce doute et après ce doute.

L.D.: Comment rebondissez-vous sur un échec ?

I.N.: Vous voulez dire après un échec. Eh bien, le plus difficile est déjà d’accepter cet échec; se dire que là, il n’y a plus rien à faire, il faut passer à autre chose. Il faut beaucoup d’humilité pour le reconnaître. Et, habituellement, je trouve une manière de pivoter, transformer le plat raté en quelque chose d’autre, juste pour ne pas avoir à passer par cette étape difficile de la reconnaissance de l’échec. Mais lorsque l’échec est reconnu, je ne me lance pas tout de suite sur autre chose. J’essaye de comprendre ce qui m’a conduit à cet échec, et une fois que je l’ai compris, je commence autre chose pour ne pas me morfondre et réaliser que ce sont des ressources perdues et du temps gaspillé. Voilà comment je le gère, moi, l’échec.

L.D.: Quels sont les obstacles récurrents que vous rencontrez, ou avez rencontrés tout au long de votre parcours ?

I.N.: Le premier obstacle a été et reste la réticence des gens à embrasser la nouveauté. Le changement a toujours fait peur, mais sous nos cieux, c’est un peu plus grave. L’on est conscient que la voie que l’on a empruntée jusque-là n’est pas l’idéale, mais on se refuse d’aller vers autre chose, parce qu’on ne connaît pas cette chose. Il faut donc convaincre puis éduquer cette population, et c’est un challenge. Outre cela, il y a les institutions qui sont censées régir les activités que l’on mène. Les gens aiment prendre leur temps, et si vous êtes du genre pragmatique, du genre « time is money », no procrastination, vous vous retrouvez très vite face à un mur. Une troisième chose, c’est la capacité des gens à se contenter de l’à-peu-près alors qu’ils peuvent faire mieux. J’aime citer à ces gens Nicolas Boileau qui disait : « hâtez-vous lentement, et sans perdre courage. Vingt-fois sur le métier, remettez votre ouvrage. Polissez-le sans cesse et le repolissez. »

L.D.: Votre franc-parler doit vous attirer des inimitiés.

I.N.: Est-ce une question?

L.D.: Oui.

I.N.: Pourtant pas. On m’adore, moi. Je suis adorable. Ce sont mes dires qui ont des problèmes. C’est à eux que l’on s’attaque souvent car ils ne plaisent pas toujours.

L.D.: L’une de vos photos a fait l’objet de nombreuses reprises non autorisées, notamment au Bénin récemment, durant la campagne du président Patrice Talon, ce qui a suscité l’indignation de vos followers. Comment gérez-vous cette notoriété ?

I.N.: Je ne pense pas qu’il s’agisse là de quelque notoriété. Comme tout le monde, j’ai des amis, des connaissances et des personnes qui, même si je ne les connais pas, me suivent et me connaissent à travers mes écrits et autres interventions. Lorsque ces personnes s’aperçoivent que je suis victime d’un préjudice comme celui dont vous parlez, elles réagissent en dénonçant cela et m’apportant leur soutien. Cela ne me donne aucune notoriété, même si je dois avouer que 5000 contacts sur un compte Facebook est assez important. L’on m’a souvent dit que j’étais devenu une personnalité publique, étant donné mes activités et les jeunes qui me considèrent comme un leader. C’était dans l’intention de m’amener à soigner mes réactions, mes dires et surtout faire attention à mes actes. Sans vouloir jouer au fanfaron, je pense que cela est exagéré. Je n’ai pas encore cette lourde charge qui pèse sur les épaules des personnalités publiques. Je pense que je peux m’autoriser des folies sans que celles-ci aient des conséquences. Alors, ça va.

L.D.: Pensez-vous à l’avenir ?

I.N.: Comme tout être humain, oui, j’y pense.

L.D.: Soyez plus prolixe.

I.N.: Alors, comme vous l’avez précisé dans l’une de vos questions, je suis un serial entrepreneur. Cela veut dire que je ne me limite pas à une seule structure. Ce que je fais c’est bâtir la structure avec l’aide d’une équipe, l’amener à un niveau où elle devient autonome, puis passer à une autre structure, tandis que la précédente continue de croître. J’ai des idées que je veux pouvoir concrétiser. Alors, je m’imagine un avenir où toutes les boîtes que j’aurais lancées sont leader sur les marchés auxquels elles s’attaquent, en répondant de manière efficiente aux besoins des consommateurs. Outre le volet entrepreneurial, j’ai des œuvres que je veux voir publiées et accessibles depuis n’importe quel lieu sur terre.

L.D.: Quel regard portez-vous sur l’entrepreneuriat en Afrique francophone de manière générale, et au Sénégal en particulier ?

I.N.: Je pense que les plus beaux jours de l’entrepreneuriat en Afrique francophone sont ceux à venir. Les choses sont en train de changer positivement. L’Afrique est en train de comprendre qu’il ne lui faut pas calquer les réussites d’ailleurs (le Facebook africain, le McDo africain, l’Apple africain), mais surtout innover en prenant en compte les besoins spéciaux de ses populations. Cela est un grand pas, car cela signifie que les Africains ne cherchent plus à être comme les Occidentaux ou à les dépasser (ce qui est absurde), mais à suivre leur propre voie et à définir leurs propres réussites.
Au Sénégal, comme dans nombre de pays d’Afrique, c’est l’entrepreneuriat dans le monde numérique qui marche le mieux, et pour cause! A la différence d’autres secteurs, lancer une start-up ne nécessite pas véritablement des fonds importants. Avec un ordinateur et une connexion internet, on peut lancer une start-up et gagner aisément de l’argent, si on a les bonnes compétences, la bonne idée et le bon marché. Mais je pense qu’il est grand temps d’embrasser les autres secteurs, faire en sorte que de véritables marques, de véritables empires soient créés. Cela commence à se faire, mais il faut un accompagnement afin que les initiatives prises puissent connaître le succès. Au Sénégal, on mise beaucoup sur les TIC et l’agriculture, laissant certains secteurs pratiquement vierges.

L.D.: L’Afrique de demain, vous la voyez comment ?

I.N.: Je ne pense pas l’Afrique de demain. C’est celle d’aujourd’hui qui m’intéresse. Depuis de longues années, l’on spécule sur cette Afrique de demain. A force, l’on a oublié qu’il fallait commencer à la bâtir aujourd’hui afin qu’elle puisse exister. L’Afrique de demain sera donc ce qu’elle sera. Celle d’aujourd’hui me laisse penser que celle de demain sera encore meilleure. Le travail est en cours.

L.D.: Quelle est la rencontre qui vous a le plus marqué ?

I.N.: J’ai la chance d’avoir fait de nombreuses et belles rencontres. Des gens qui m’ont inspiré et qui continuent de le faire aujourd’hui encore. Je ne pense pas pouvoir dire laquelle de ces rencontres m’a le plus marqué, car chacune d’elles m’a laissé une marque unique et importante.

L.D.: Le livre qui vous a laissé un souvenir impérissable ?

I.N.: Étrangement, c’est L’Alchimiste de Paulo Coelho. Ce livre est arrivé à point nommé, au moment où j’en avais besoin. Je l’ai lu un nombre incalculable de fois.

L.D.: Quand vous pensez à l’entrepreneur « idéal », quel nom vous vient à l’esprit ?

I.N.: Babacar Ngom. C’est un entrepreneur sénégalais qui, plus jeune, a choisi de rester dans son pays cependant que ses amis allaient en Occident à la poursuite de leur avenir. Avec 60.000 fcfa, il a commencé son activité et aujourd’hui, il pèse des milliards et a bâti un empire, dont il vient de léguer la direction à sa fille aînée.

L.D.: Si vous deviez recommander trois livres sur l’entrepreneuriat, le leadership et la foi en soi, lesquels seraient-ce ?

I.N.: 1) Rework, de Jason Fried ;
2) Start With Why, de Simon Sinek ;
3) La Bible.

L.D.: Que voudriez-vous transmettre à la jeunesse Africaine ? Si vous n’aviez que deux phrases, que lui diriez-vous ?

I.N.: Tu n’es pas l’Afrique de demain, mais celle d’aujourd’hui. Tu as le devoir de laisser une meilleure Afrique aux générations à venir, parmi lesquelles se trouvent tes enfants et tes petits-enfants : ne fais pas comme tes pères, remplis ton devoir.

L.D.: Un message aux dirigeants africains ?

I.N.: Soyez des pères pour vos nations. Tout père véritable veut le bien de ses enfants et sera prêt à tout pour qu’ils soient heureux. Soyez ces pères pour vos peuples et soyez suffisamment humbles pour savoir que vos pays vous survivront toujours et que d’autres ont, autant que vous, la capacité de les bien diriger.

L.D.: Que peut-on souhaiter à Ibuka Ndjoli ?

I.N.: Une santé de fer et une vie suffisamment longue pour qu’il puisse réaliser au moins la moitié des choses qu’il a dans la tête.

L.D.: Nous vous souhaitons tout ceci, et bien davantage.


Je dois reconnaître qu’il s’est soumis à ma batterie de questions de bonne grâce. C’est heureux puisque cet entretien n’est que le premier d’une série.

J’espère que vous avez pris autant de plaisir à lire cette interview que j’ai eu à la conduire – bien que ce soit impossible -, si vous souhaitez découvrir Marcus plus avant, je vous laisse ces liens :

KUSOMA GROUP    –    SON BLOG    –    PAGE FACEBOOK    –    TWITTER

Mais vous pouvez Googler, c’est ce que j’ai fait.


*vieil : d’une sagesse qui jure avec son âge.

*formateur : il n’était pas d’accord pour que j’emploie ce terme. Il considère ce qu’il fait comme un retour d’expérience. C’est de la formation.

*Ces choses que j’aurais voulu qu’on me dise lorsque j’étais plus jeune. Le livre que j’aurais aimé avoir entre les mains lorsque je me posais des questions sur mon orientation. Rendez service à vos cadets, offrez-le leur, cela leur évitera de commettre certaines erreurs.

Les 5 valeurs fondamentales du blog du disrupteur

About Ace (70 Articles)
Ace est un passionné de communication et de startups. Autodidacte formé auprès de professionnels du marketing et de la communication, il allie exploration personnelle, pratique du métier et recherche incessante d'amélioration dans une approche intégrative, qui s'intéresse au secteur de façon globale, en le replaçant au centre de l'entreprise. Sa démarche s'attache à formaliser de manière spécifique les problématiques communicationnelles qui touchent les structures en tenant compte de leurs divers niveaux d'organisation.

4 Comments on Entretien avec Ibuka Ndjoli, l’entrepreneur qui va révolutionner l’édition en Afrique

  1. Je lis beaucoup. J’aurais préféré en savoir plus sur l’auteur, plutôt que sur l’entrepreneur. Quand on parle de Marcus au début, on s’attend à en apprendre plus sur le côté écrivain…
    Belle Itw cependant.

    J’aime

  2. C’est long mais qu’est-ce que c’est bon ! Il y a tellement de passages que l’on pourrait épingler dans ce texte.
    J’aime beaucoup celui-ci « Je ne pense pas l’Afrique de demain. C’est celle d’aujourd’hui qui m’intéresse. »
    C’est fou comme on pense trop à demain, comme on remet notre responsabilité à demain.
    Merci pour cette très belle interview. Bonne continuation à tous les 2

    Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire