Communication

Retour sur Afropreneur, un documentaire sur le néant

Les valeurs du blog du disrupteur

Hi guys !

C’est la nouvelle année, et comme tous les nouvel an, nous avons nous aussi pris des résolutions sur Le blog du disrupteur. L’une d’elles consiste à affirmer une orientation prise en milieu d’année dernière : publier davantage de contenu « positif », peu importe ce que cela signifie. En réalité, il s’agit plus de nous faire du bien avec des informations à la fois pertinentes, utiles et inspirantes que de verser dans une espèce de laudation bonne poire. Force nous est de reconnaître que cela semble compromis. Car si nous souhaitons remplir la mission que nous nous sommes assignés à notre création – à savoir « produire du contenu utile, responsable, intelligent, stimulant et contextuel sur les startups, la communication et, plus largement, le monde de l’entreprise en Afrique francophone » -, nous sommes obligés d’aborder certains sujets. Quand bien même ils ne nous feraient pas nous pâmer sous leurs rayons de bons sentiments saturés d’exaltation.

A contre-pied des réactions enthousiastes suscitées par le documentaire, nous allons vous et moi briser l’omerta qui règne autour des constatations que chacun d’entre nous a faites, dans son coin, et mettre un frein à cet élan hypocrite qui nous pousse à enjoliver tout ce qui se rapporte de près ou de loin aux « écosystèmes startups tech Africains », au détriment de la réalité. Sans même parler de vérité. Le sujet du jour est « Afropreneur », un documentaire très attendu depuis deux ans, sorti à la mi-Octobre. Comme à notre habitude, nous avons attendu de voir si un autre média se chargerait d’en faire une critique à peu près objective, ce qui n’a pas été le cas – les remises au point timides du Point Afrique mises à part. Nous allons donc mettre les mains dans le cambouis, une fois de plus. Nous y allons ?

I. Ce que c’est et de quoi ça parle 

Pour ceux qui débarquent, Afropreneur fait partie – avec Startup Lions -, des deux initiatives phares de « l’époque » (2014/2015) qui avaient pour objet une incursion dans l’univers des startups tech d’Afrique, afin de rendre compte des réalités du terrain, au-delà de l’emballement médiatique autour du phénomène. Le premier en donnant la parole aux acteurs de l’écosystème tech francophone au travers d’un documentaire, le second en allant à la rencontre des entrepreneurs du numérique d’Afrique francophone et anglophone au cours d’un road trip, dont le récit a été relaté dans un ouvrage publié fin Novembre. Nous en ferons la critique après lecture un jour prochain.

Revenons au documentaire. Porté par Tech of Africa, une plateforme dédiée à « la présentation (des) différentes initiatives des acteurs Africains des TIC », spécialisée dans la publication « (des) innovations, (des) inventions, (des) nouvelles et (des) avancées technologiques en Afrique et (…) à travers le monde qui impactent le continent » et alimentée par « une communauté de professionnels, entrepreneurs, experts, geeks, amoureux des TIC et de l’Afrique » (1), Afropreneur est un documentaire réalisé dans le but de donner la parole aux entrepreneurs du numérique de 6 pays et 7 villes d’Afrique francophone, avec un triple objectif : rencontrer (les acteurs de l’écosystème), relayer (les informations) et inspirer (le public) (2).

Il s’agit de permettre à ces derniers de « raconter (leur) histoire, leurs défis, leurs difficultés, leurs contraintes mais aussi leurs réussites afin qu’ils puissent en inspirer d’autres à travers leur expérience et leurs conseils » ; « de filmer leurs témoignages et leurs histoires afin de comprendre ce qui leur manque pour devenir aussi grands et aussi impactant que leurs homologues de la Sillicon valley américaine ou de la French Tech française. » – (2)

Des ambitions nobles mais coûteuses, financées – entre autres – par un crowdfunding (3) sur Kiss Kiss Bank Bank, une des plateformes européennes de référence en ce qui concerne le financement collaboratif, grâce à laquelle Tech of Africa a pu récolter un peu plus de 58 % des fonds nécessaires à la réalisation du documentaire. Tout ça c’est bien joli, mais quid du documentaire lui-même ?

II. Le documentaire

Deux ans après cette récolte de fonds, le documentaire sort enfin sur les écrans, petits et grands. Projeté gratuitement dans quelques grandes villes d’Afrique francophone (Lomé, Cotonou, Brazzaville, Douala, Abidjan, Dakar) et à Paris entre octobre et novembre, les aficionados de startups made in Africa qui n’étaient pas sur place ont quant à eux pu le regarder dès le 31 juillet sur la plateforme de vidéo à la demande Vimeo (4), pour la modique somme de 5,99 € (pour ceux qui souhaitent la louer) ou 9,99 € (pour ceux qui sont décidés à la garder sous la main en l’achetant). Passons à ce qui nous intéresse.

1) Le format

L’équipe de Tech of Africa a décidée de filmer les entrepreneurs en plusieurs plans successifs, entrecoupés de brèves pauses entre deux questions. Des pauses agrémentées par une voix off, qui nous communique quelques chiffres alors que défile sous nos yeux des images de cette Afrique qui bouge, histoire de reposer nos yeux. Puis les questions reprennent, les visages se succèdent. Les entrepreneurs répondent tous à la même question, l’un après l’autre. Certains font des passages éclairs tandis que d’autres reviennent pour apporter d’autres éléments de réponse, susceptibles d’améliorer notre compréhension de la situation dans laquelle évoluent les porteurs d’entreprises et startups tech Africaines. Malheureusement pour nous, les plans en question sont souvent restreints, la musique est parfois un peu trop forte et cela devient monotone au bout d’un moment, vous allez comprendre pourquoi dans la suite.

2) Le contenu

Après le fond noir comme un suspense qui dure une minute, l’apparition du logo providentiel, l’introduction aux allures de one woman show de la papesse des startups au Cameroun – j’ai nommé la très influente Rebecca Enonchong (5), « auntie Becky » pour quelques-uns -, nous avons droit à une entrée en matière digne des plus grandes épopées des temps modernes, sur fond de musique inspirante, censée nous communiquer l’enthousiasme qui convient au grand moment que nous sommes sur le point de vivre :

« Hier comme aujourd’hui, le continent Africain fascine. Tout au long de son Histoire, l’Afrique a donné tort à ceux qui ont voulu écrire, et prédire son destin. Le potentiel du continent se raconte aujourd’hui à travers les technologies numériques. En dix ans, la croissance a été multipliée par deux grâce au développement fulgurant des technologies de l’information et de la communication. Sur le continent, des villes comme Abidjan, Cotonou, Dakar, Douala, démontrent que l’Afrique francophone possède les ressources pour impulser une nouvelle dynamique technologique. Dans ces villes, il existe une classe moyenne jeune, urbaine, hyper-connectée. Des entrepreneurs du numérique avec de nouveaux besoins, de nouvelles envies. En racontant leurs histoires, ils racontent le chemin irréversible qu’emprunte l’Afrique. Ils brisent les préjugés et chamboulent nos certitudes. Ils se définissent librement, authentiquement. Ils ont conscience d’être des pionniers, conscients d’impulser, conscients d’inspirer dans leurs domaines, et dans la société. Ils bâtissent les fondations d’une Afrique nouvelle : l’Afrique de l’économie et du savoir, l’Afrique des entrepreneurs. La génération « Afropreneurs » ! » – Afropreneur, voix off

Plus hollywoodien tu meurs. John Wayne serait fier de vous les gars ! J’ai mis en gras trois éléments, c’est important pour la suite :

  1. Ils brisent les préjugés et chamboulent nos certitudes.
  2. Se définissent « librement », « authentiquement ».
  3. L’Afrique du savoir.

Passons sur le reste, c’est du storytelling pas trop méchant. Tout le monde en fait. C’est même inoffensif si on sait faire la part des choses en ce qui concerne les chiffres. Et puis : il s’agit d’un documentaire sur les réussites Africaines ; pour une fois, on a le droit d’être optimistes et de célébrer nos succès ! Parce que les intervenants ont fait leurs preuves sur le terrain, ce sont des entrepreneurs chevronnés qui vont nous faire part de leurs expériences. L’inspiration et tout ça tout ça.

Vient le titre, suivi du sous-titre :

Afropreneur

Histoire d’une révolution silencieuse

Tout un programme. Attention, ça commence :

Question 1 : qu’est-ce qu’un entrepreneur ?

Florilège :

« L’entrepreneur pour moi, c’est celui qui se lève un matin et qui est dérangé par un manque, un vide, ou un dysfonctionnement dans son environnement. Et qui se dit « ce problème ? Il faut que j’y apporte une solution ». Avant tout c’est ça un entrepreneur. » – Gérard Konan, fondateur PDA Store & Agilly, Côte d’Ivoire

Non monsieur, l’entrepreneur voit les besoins de son environnement comme des opportunités dont il peut user pour produire de la valeur financière. Cela ne le dérange absolument pas, puisque c’est la raison d’être de son business. Mais enfin, why not ? ça fait très « startupeur » comme discours. Mais c’est inexact en ce qui concerne l’approche de l’entrepreneur aux manquements de son environnement.

« Très souvent, la différence entre un patron et un entrepreneur, c’est qu’un entrepreneur est pauvre pendant très longtemps et qu’un patron se fait de l’argent relativement rapidement parce que c’est un salarié. C’est ça la différence. » – Sassoum Niang, Directeur général de Jumia Market

Preach, mam’ ! La suite.

« Pour moi un entrepreneur, c’est un « problem solver » (solutionneur de problèmes). En fait c’est quelqu’un qui résout des problèmes – qui identifie d’abord les problèmes, qui viennent souvent de son propre besoin -, et qui voit une valeur dans la résolution de problèmes ». – Senam Beheton, Co-Fondateur de TEkXL, Bénin

Plus ambiguë tu meurs. Il y a deux façons d’entendre ce que dit Senam Beheton. Ceux qui ignorent qui il est ont plus de chances de comprendre ses propos de la bonne façon, c’est-à-dire : « si je fais face à un problème et si mes voisins ont le même, il existe une chance de gagner de l’argent en le résolvant ». Pour ceux qui savent ce qu’est TEkXL – à savoir une pépinière et un incubateur de startups éprouvettes (ce qu’ils ont l’honnêteté de reconnaître, cf (6)) -, vous allez tomber dans la « startuper definition« . Il y a autant de points communs entre un startupeur et un entrepreneur qu’entre une baleine et un cachalot. Mais comme ils vivent tous les deux dans de l’eau salée, pourquoi chipoter… Poursuivons.

« Grande question. Un entrepreneur, c’est un aventurier. Mais c’est un aventurier qui s’arrange pour ne pas aller vraiment dans l’inconnu. C’est quelqu’un qui fait un pas après l’autre en s’assurant qu’à chaque fois qu’il a déposé un pas, la terre est ferme ». – Christian Roland, Directeur d’Alpha Oméga Services, Côte d’Ivoire

C’est une image d’Épinal mal dégrossie pour amateurs de sensations épiques à la petite semaine. On ne se lance pas dans l’entrepreneuriat pour « vivre une grande aventure », suffit de poser la question aux millions d’entrepreneurs qui se battent pour survivre au quotidien. Et l’auteur de cette métaphore fumeuse le sait. La fable du type qui se lance dans le vide en essayant de construire des ailes en tombant ? C’est du storytelling médiatique qui entretient la machine à faire de la fumée.

« Un entrepreneur, pour moi c’est quelqu’un qui vit pour répondre aux besoins, et généralement aux problèmes donc de son environnement. C’est quelqu’un qui est passionné (par le fait) d’apporter des solutions. » – Thierry Ndoufou, Fondateur de Qelasy, Côte d’Ivoire

De la part d’un startupeur aux prises avec les réalités du terrain, cette réponse n’est pas étonnante. Il s’est lancé dans cette aventure pour la raison qu’il donne. Maintenant, si vous pensez que le bureau dans lequel il est filmé se trouve dans les locaux de sa boîte… Mais ce n’est pas la question, même si, par association d’idées, on a l’impression que tout va bien pour la tablette éducative.

« Être un entrepreneur c’est être un rêveur, c’est être une personne ambitieuse et vouloir changer son monde. » – Karidjata Diallo, Fondatrice de Global Telecom Services, Côte d’Ivoire

Pourquoi pas. Tant qu’il s’agit de son monde et non du monde ou de son environnement. Ce n’est pas le but premier d’une entreprise ; sa vocation première est de générer de la valeur monnayable. L’un n’exclut pas l’autre. Le côté rêveur en revanche, est couplé à un pragmatisme impitoyable, sans lequel il lui est impossible de survivre. N’allez pas croire qu’il suffit de rêver et d’avoir de l’ambition pour devenir entrepreneur. Ce n’est absolument pas cela être un entrepreneur, ce ne sont que des qualités connexes à ce statut – et encore, chez certains. Le rêve n’est pas indispensable. L’ambition non plus, posez la question aux bayam sellam.

« C’est quelqu’un qui s’attaque à un problème, qu’il ne connaît pas forcément à la base. Mais qui a décidé de s’attaquer à un problème – ou même à un secteur en général -, c’est quelque chose qui l’attire et qui, au fur et à mesure va se construire une légitimité dans ce secteur auquel il ne connaissait rien au début. » – Laurent Liautaud, Fondateur de Niokobok, Sénégal

C’est un startupeur. Et il fait un retour d’expérience, il ne répond pas à la question posée, qui est, rappelons-le : « qu’est-ce qu’un entrepreneur ? » Encore du flou artistique entre les deux notions. L’amateurisme conceptuel règne en maître. Vu que le documentaire a pour objet les « startups et entrepreneurs de l’univers tech africain », il aurait pu faire la distinction entre les deux, non ?

« Être un entrepreneur, c’est avoir la capacité d’analyser vraiment les problèmes, et de pouvoir trouver des solutions à ces problèmes. Et c’est surtout être capable de prendre des risques quand il le faut. » – Ines Affo, Web Developeur à Pikiz, Bénin

L’exemple typique des gens qui prennent la parole en se basant sur du vent. Pourquoi avoir interviewé un salarié dans un documentaire dédié aux entrepreneurs ? Surtout pour répondre à une question pareille ? Elle n’a aucune légitimité pour le faire. On va mettre ça sur le compte des inévitables ratés.

« Pour moi un entrepreneur c’est quelqu’un qui rencontre un problème, et qui essaie d’apporter une solution par rapport à ce problème. C’est aussi simple que cela. » – Ibuka Ndjoli, Co-Fondateur de Kusoma Group, Sénégal

Et un startupeur, et un ! Sans blague ? Attendez, vous n’avez pas vu le meilleur !

« Un entrepreneur doit être visionnaire, c’est quelqu’un qui a une vision, c’est quelqu’un qui est fou ! C’est quelqu’un qui rêve, moi c’est comme ça que je définis un entrepreneur. » – Loïc Makosso, ARIES Investissements, Congo

Premier mouvement : nous effondrer de rire sur notre clavier. Ils l’ont trouvé où lui ? Et puis : « Makosso », « Congo ». Ok, c’est chez nous. Sans surprise. Quelques-uns d’entre nous se sont spécialisés dans le brassage du vent et de la pluie pour prétendre sans ciller que c’est de l’or à 24 carats.

Nous vous épargnons le reste, ils racontent leur vie. Exception faite d’Israël Yoroba Guébo, pour sa présence, son éloquence, son charisme. Ses métaphores. Sa posture, sa gestuelle. Comment dire ça ? Il aurait pu donner des cours à tous ceux qui sont passés. Communication verbale et non verbale on flex. Il ferait fortune dans ce genre de chose. Et nous paierons pour le voir à l’oeuvre. C’est un homme de médias et ça se voit. Sa compétence se déploie au cours des séquences qui le mettent en scène, comme un prestidigitateur que l’on ne peut quitter des yeux. Il connaît son métier et il le sait. Et il s’y connaît en histoires, ce qui ne gâche rien. C’est Clinton en mieux. Extrait :

« Je compare l’entrepreneuriat au mariage. On a tous une vue de l’esprit, on se dit « voici la femme idéale ». Et puis après, dans la vie du mariage, on se rend compte qu’elle peut avoir de bonnes facettes mais aussi de mauvaises facettes. C’est pareil en entrepreneuriat. On a une idée, elle est lumineuse ; tu la vois dans la flamme amoureuse des premiers jours et puis après c’est à nous de l’entretenir. Pour le meilleur et pour le pire. » – Israël Yoroba Guébo, Co-Fondateur d’AlterMedia, Côte d’Ivoire

Edem Fiadjoe (Jet App & App Solutions, Togo) gâche tout à la fin et Martial Konvi (DevEngine Labs, Sénégal) fait apparemment dans l’entrepreneuriat social.

En résumé : nous avons une flopée d’entrepreneurs têtes de proue, victimes pour la plupart du storytelling made in America, selon lequel un entrepreneur serait une espèce d’homme providentiel, qui intervient pour « résoudre des situations », un « solutionneur de problèmes », qui le dérangent tellement qu’il se lève, tel un justicier, et se dévoue pour faciliter la vie du plus grand nombre. La ligue des Justiciers bis en fait. Ces gars sont des comiques. Sorry. Bref. L’entrepreneuriat est sous-tendu par une logique économique, pas par de l’altruisme. C’est cool si les deux conditions sont réunies, mais s’il n’y a aucun avantage économique derrière, s’il n’y a pas un service ou un bien précis à vendre, il n’y a pas d’entreprise. Les startupeurs peuvent se payer le luxe de chercher une solution viable, pas les entrepreneurs. Sinon l’entreprise n’existe pas. Vous vous rappelez de l’article sur les startups ?

Il y a une grande différence entre écouter du nation branding qui a pour objet d’augmenter le soft power – l’attractivité et le rayonnement des USA entre autres -, et reprendre la came à son compte. En y croyant qui plus est. On va revenir aux fondamentaux : il y a un truc très bien qui a été inventé il y a très longtemps, ça s’appelle un dictionnaire. C’est une invention révolutionnaire qui a pour but de répertorier les différentes connotations d’un mot, histoire de faire consensus sur les briques de phrases qu’on emploie, pour éviter que la smala de la Tour de Babel ne se répète. J’ignore pourquoi les gens se donnent tant de mal pour redéfinir les concepts en s’engageant dans des démarches sans fondement. Entrepreneur égal chef d’entreprise. Ce dernier vend un bien et/ou un service contre rémunération, point.

Comme nous le verrons par la suite, pas mal d’espace a été occupé pour rien ; il y a des redites qui brassent du vide, sans apport pertinent au film. Ces dernières auraient dues être remplacées par du contenu, de la substance pour changer. Fort heureusement pour nous, au milieu de ce chaos, quelques voix nous apportent du neuf, nous font part de la réalité sans les fards du branding. Ce sont elles qui sauvent ce qui, en leur absence, aurait tourné à une comédie de boulevard avec des acteurs de seconde zone.

Question 2 : quels sont les défis des Afropreneurs ? 

En ce qui concerne certains intervenants, la voix off aurait suffi pour faire le job. Mais bon, comme il s’agit de donner la parole aux gens… Mohamed Diaby (Laabag, Côte d’Ivoire) est une vraie bouffée d’oxygène ! Il ne se contente pas de répéter ce que tout le monde sait déjà ; il apporte quelques précisions bienvenues, en un discours pragmatique et expérimenté qui tranche avec la superficialité nonchalante qui précède. Il aborde en des points brefs et précis les questions financières et identitaires, qui sous-tendent les choix des entrepreneurs locaux. Passez directement à 9:22, ce type sait ce qu’il fait. Et possède une connaissance fine de ce qu’il dit.

C’est une Marylène Owona (Kouaba, Cameroun) désabusée, excédée par le manque d’infrastructures de qualité, d’interlocuteurs fiables, et ayant fait les frais de la perception que certains clients ont des boîtes tech africaines, victimes des manquements de leur environnement, qui nous apparaît dans cette séquence. Même constat du côté d’Amen Azoumou (Appsland, Togo), sur le manque de compétitivité et le découragement induits par la lenteur de la connexion et les coupures d’électricité cette fois.

Yann Lebeux (YUX Dakar), nous en apprend plus sur cette histoire de « ressources humaines compétentes » que nous serinaient jusque-là certains intervenants sans pouvoir aller dans le détail (c’est quand même la raison pour laquelle on regarde le documentaire, si ?), apportant une substance bienvenue à cette expression déroulée à toutes les sauces. Extrait :

« Il y a énormément de gens qui peuvent sortir des universités, mais trouver des gens qui connaissent très bien le digital et qui ont une expérience dedans c’est difficile. Donc tout le monde apprend from scratch (à partir de zéro), donc tout le monde est sur des mots, qu’on regarde sur les réseaux sociaux, on fait plein de trucs… mais personne n’a une vraie expertise dans ces domaines-là. Et c’est vrai que là on a vraiment besoin de renforcement de capacités, notamment quand on veut lancer des boîtes e-commerce, qui commencent à demander une certaine expertise. Ou des agences digitales d’un certain niveau. »

Quelques-unes de nos grosses déceptions – l’absence de Tidjane Deme, l’ex-monsieur Google Afrique francophone, pourtant présent dans les vidéos de promo mise à part – sont les minutes trop brèves accordées aux quelques personnes qui savent de quoi elles parlent, ainsi que l’intervention de Kémo Touré (Wutiko, Sénégal) que nous connaissons bien. Ce dernier a apporté des réponses singulières, sources d’inspirations aux différents challenges évoqués plus haut. La salle dans laquelle il a été interviewé amplifie l’écho, ce qui rend difficile l’écoute de ses propos, pourtant pertinents. Pour résumer grossièrement, Wutiko est l’équivalent de Linkedin, spécialisé dans les opportunités d’emploi en Afrique.

Malick Diouf, de LAfrica Mobile au Sénégal, exprime bien le défi que constitue la sensibilisation des populations à la plus-value que peuvent apporter les entreprises tech dans leur quotidien, mais il manque d’aborder d’autres problématiques cruciales (qui expliquent mieux l’indifférence de la majeure partie des locaux vis-à-vis de ces produits) que l’analphabétisation, qui ne constitue en rien – ou si peu – un frein à l’adoption de produits à forte valeur ajoutée pour les cibles : la faible pénétration d’internet, son coût, le faible revenu des populations ainsi que l’hyper concentration de la majorité des agréments de la modernité à Dakar, la capitale du Sénégal. Sans compter la nature même de ces produits, designés pour une cible éduquée, dont l’expérience utilisateur est trop compliquée pour convenir aux usages de la majeure partie de ce qui aurait pu, autrement, constituer une cible. Il aurait pu parler du faible nombre de professionnels spécialisés dans l’UX Design par exemple, et donc de la difficulté de produire des solutions adaptées aux populations Africaines. Mais enfin.

L’intervention de Sassoum Niang, de Jumia Market, est beaucoup trop brève pour lui permettre d’aborder le problème qu’elle relève – très pertinent d’ailleurs : celui de l’inadéquation du cadre juridique avec les activités des entreprises tech. Le droit évolue manifestement beaucoup moins vite qu’il n’aurait dû, si évolution il y a. Si elle avait eu plus de temps, il y aurait lieu de parler du manque manifeste de volonté politique en l’espèce. Les opérations de communication exceptées, les politiques ont tendance à jouer à la fille de l’air lorsqu’il s’agit de mener des actions concrètes, nécessaires aussi bien à la régulation du secteur qu’à son épanouissement. Frank Touré, de Néoleads, en Côte d’Ivoire revient sur la question de la rapidité de la connexion internet. Après avoir évoqué le fait que les autorités étaient en train de régler la question. Cette séquence aurait dû figurer après celle d’Amen Azoumou, plus haut.

L’excellent Mohamed Diaby – excellent parce qu’il est pertinent et maîtrise son sujet – revient pour nous entretenir de la perception qu’ont les banques des entreprises tech, qui pour elles se résument aux Télécoms (équipements, opérateurs de téléphonie mobile et internet). L’absence d’acteurs qui produisent des équipements pour le consommateur final (pas de B to C dans ce secteur) renforce cette frilosité. Les banques n’ont ni l’expérience requise, ni les exemples de réussite qui leur permettraient de considérer le prêt aux porteurs de projets de type applications comme un investissement viable. La concentration de l’essentiel de l’économie ivoirienne sur des secteurs plus tangibles (agriculture, énergie, immobilier) qui constituent des marchés plus lucratifs et plus sûrs aux yeux des établissements spécialisés dans le crédit ne parle pas non plus en faveur des entreprises tech.

Vient ensuite… Un type du Bantuhub. Bon. Lorsque j’ai demandé à un des gars de Tech of Africa ce qu’ils étaient allés faire au Congo, il m’a répondu qu’ils s’y étaient rendu pour « explorer l’écosystème tech congolais ». Effectuons quelques mises au point, voulez-vous ?

  1. il n’y a pas d’écosystème tech au Congo Brazzaville.
  2. VMK et le Bantuhub sont des scams.
  3. tout ce qui est « tech » se résume à trois choses : les Télécoms, les fournisseurs d’accès internet, les revendeurs d’équipement.

Si quelqu’un vous dit qu’il y a autre chose, il ment. Poursuivons.

L’entrepreneur béninois répète des évidences et… Edith Brou. Dites avec moi « vide intersidéral ». Son discours, c’est du Google tout craché. Le genre de platitudes aussi profondes qu’une flaque d’eau que l’on retrouve sur les sites de junk info qui pullulent sur internet, dont elle est l’une des spécialistes. Oui, elle est spécialiste de plusieurs choses, vous l’ignoriez ? Probablement l’un des scams les plus réussis de « l’écosystème numérique d’Afrique francophone »,  il faut lui reconnaître ce mérite, rires. Elle a bossé dur pour ça, on ne se moque pas.

Yann Lebeux revient pour nous entretenir très brièvement de l’ultra-buzz autour du secteur, de la difficulté de retenir une main-d’oeuvre qualifiée de ce fait, des « wannabe boss », attirés par cette manne providentielle dont ils veulent aussi avoir une part du gâteau, du manque de vrais talents (de compétences avérées et non de buzz providers)… Séquence trop brève, une fois de plus. Christian Roland plussoie. Oui, c’est un vrai entrepreneur, en dépit de son penchant pour les définitions frelatées du mot « entrepreneur ».

Monsieur Makosso du Congo a droit à une séquence supplémentaire pour nous refourguer sa came. D’aussi mauvaise qualité que la précédente. Madame Affo du Bénin également a droit à une autre scène, durant laquelle elle ne se prive pas de nous abreuver de constatations constatées et non vécues – rappelons que la startup qui l’emploie (Pikiz), est construite de toutes pièces et élevée comme un animal de basse-cour pardon incubée à TEkXL, un laboratoire de startups. C’est-à-dire qu’elle évolue dans un environnement artificiel où tout est prévu pour assurer la croissance dans des conditions optimales. Pourquoi elle nous parle de manque d’investisseurs ? Ah oui, l’opinion publique en parle – c’est dans Jeune Afrique, vous savez ? C’est une vaste blague.

Pour poursuivre sur la question du financement, voici un as du sujet : monsieur Serge Touré, ex-manager chez Investisseurs et Partenaires en Côte d’Ivoire. Sa séquence, très brève, lui permet de nous glisser le manque de préparation et l’état peu avancé des projets que présentent les candidats au financement. On commençait à penser que sa profession était tout à fait hermétique à ce genre de chose. Nous avons Omar Cissé, de Teranga Capital, au Sénégal, qui fait quant à lui état du manque de visibilité des investisseurs sur le marché du numérique. Nous n’avons pas le temps de savoir de quoi il veut parler quand il aborde la question de la vision, car la séquence est coupée aussi sec ! J’aimerais bien connaître la teneur de ses propos…

Martial Konvi, aka monsieur social, nous fait part d’une anecdote qui nous dépeint la façon dont il voit la relation entrepreneur-clients : le client est le boss et l’entrepreneur l’employé. C’est très original, et cela apporte un éclairage nouveau sur l’univers tech d’Afrique francophone. La merveilleuse et très captivante Karidjata Diallo nous sert des lapalissades réchauffées de la veille sur l’absence de foi des structures de financement et la bataille solitaire pour la survie que mènent les entrepreneurs. On verse une larme devant tant d’injustices. Et nous qui étions convaincus que la vie d’entrepreneur était un long fleuve tranquille, exempt d’embûches… On est choqués !

Un mot sur le découpage à l’équipe de Tech of Africa qui s’est chargée du montage : vous avez fait un boulot de merde. Fin de la parenthèse. Yann Lebeux revient, parle de l’excès de l’esprit d’entreprise, d’autres personnes défilent, la voix off revient, histoire de nous en mettre plein la vue avec des chiffres sur les formidables potentialités du numérique en Afrique puis… TADA ! Rébecca Enonchong, la fondatrice d’Appstech, revient en mode « coach full force ! » Pour résumer « c’est dur les gars, mais il ne faut rien lâcher ! On va y arriver ! » On apprécie la parenthèse à la Antony Robins.

Nelson Cishugi, de Mapinga au Congo Brazzaville (franchement les gars ?) s’offre des généralités généralisantes sur un ton « inspirationnel » (il s’agit bien d’inspirer, n’est-ce pas ?). J’étouffe un bâillement. Heureusement pour nous, Mohamed Diaby reprend la parole :

« Niveau 1 : éducation. Créer une vraie culture du numérique. Revenir aux règles basiques – à la connaissance basique – de ce qu’est l’économie numérique, de comment ça fonctionne, de la position des différents acteurs dans l’écosystème, et du rôle que chacun des acteurs a à jouer. Ensuite, une éducation du marché, sur l’usage des solutions qui sont proposées et leur intérêt direct à les utiliser. Enfin, un partenariat avec ceux qui décident. Donc l’administration publique, les groupements d’opérateurs politiques, … Ceux qui ont ce que j’appelle moi « les passerelles de création de la valeur ». Un vrai partenariat qui permette à tout le monde de trouver sa place. Et enfin, un vrai travail sur le financement, pour permettre à ces acteurs-là, une fois qu’ils sont outillés, de pouvoir lancer de vrais projets. Sans attendre 3-4 ou 5 ans pour avoir un minimum de maturité ou de viabilité. »

La seule chose sur laquelle je suis en désaccord avec lui, c’est l’usage du mot « écosystème ». Il n’y en a pas, d’après ses propres mots. Mais passons, c’est l’un des seuls à apporter de la substance à ce film, on le lui pardonne aisément. Tenez-vous prêts pour le prochain. Mesdames et messieurs, voici venir le grand, le célèbre, le magnifique Isaac Ngamba Yao, Directeur général de la Poste de Côte d’Ivoire, coach en développement imaginaire durant ses pauses ! Tout à fait entre nous les gars, qu’est-ce qui vous a pris ? Je suis sérieux. Ces séquences étaient-elles indispensables ?! Vitales ? Absolument inévitables ? Si la réponse est « non », qu’est-ce qu’elles font là bon sang ?!! D’accord, on a compris, il s’ennuie un peu, mais qu’il aille dispenser ses réflexions pseudo-philosophiques ailleurs ! J’ai mal à mon porte-monnaie. « L’imagination de l’idée qu’il a produite », un concept novateur dont ne pouvait se passer le monde, vraiment.

Emmanuelle Bouiti, de Jokkolabs Sénégal (Lead et community manager) a commencé à nous parler de synergies, cela a duré 30 secondes. Discours intéressant :

« Une stratégie nationale, des objectifs communs à tous les acteurs. Qui va d’un côté rassembler le secteur privé mais aussi l’Etat, et je pense à d’autres secteurs… Et créer des synergies et des ponts avec ces secteurs-là. [Interruption de Senam Beheton en mode Rexp-investisseur « local » (LOL. Plus « local qui investit directement dans l’économie numérique de son pays » et moins « investisseur dans l’ailleurs venu d’ailleurs » que lui tu meurs, c’est clair ! Prends-nous pour des cons.)] « Donc c’est aussi de proposer des services qui vont être adaptés à nos besoins locaux, mais qui vont aussi être compétitifs au niveau international. »

Snippet : Israël Yoroba est le meilleur ! Rires. Il peut vendre de l’air conditionné à un inuit au pôle Nord ! Et il ne raconte pas de cracks, ce qui est très apprécié.

On va s’arrêter là

J’ai tout regardé il y a quelques mois, mais on va passer sur le reste, c’est à peu près la même chose. Inutile de se farcir cela une seconde fois, je le garde pour les soirs où j’aurais envie de rire, ce sera toujours ça de gagné. À une ministre du Togo qui brassait l’air et à un scameur près : Corneille Towendo. Seriously guys ? Le 1er Avril c’est plutôt loin, non ? Passons. La sélection des intervenants laisse vraiment à désirer. Entre les clowns, ceux qui se ramènent en interview pas préparés, ceux qui pourraient en dire plus mais qui se contentent de banalités (Marylène Owona, typiquement. En mauvaise forme, apparemment), les « one man showers » et la petite poignée qui ne se moque pas du monde, on dirait un gâteau salivant dont le soufflé est retombé brutalement, donnant un fouillis peu ragoutant dans lequel il faut trifouiller pour extirper quelques parties mangeables.

Je compatis, les gars (Tech of Africa). Il faut du courage pour sortir un truc pareil. Ou pas. Vous vous seriez retrouvé en plein #RendslargentTOA si vous ne l’aviez pas fait. Et puis, le contrat est respecté, vous montrez bien « les startups et les écosystèmes tech en Afrique francophone ». Ou plutôt, leur inexistence. Leur manque de substance, aussi. Leur étouffement avant éclosion sous l’action de la fumée que la majorité de leurs acteurs s’obstinent à produire pour dissimuler leur absence de structure et de contenu. Nous vous remercions d’avoir révélé, sous la robe glamour de la hype, les oripeaux de la misère structurelle et conceptuelle.

Afropreneur a le mérite de mettre les acteurs des « écosystèmes tech » d’Afrique francophone face à leurs responsabilités. Difficile de faire illusion devant une caméra ; pour paraphraser Patson dans « C’est dans la joie », « la caméra fait pas magie : si tu n’y connais rien ça ne va pas te donner de substance ! »

On check les points ?

  1. « Inspirer d’autres à travers leur expérience et leurs conseils » ? ok. (Si vous n’avez pas été inspirés tant pis pour vous, moi je l’ai été. Rires)
  2. « Comprendre ce qui leur manque pour devenir aussi grands et aussi impactant que leurs homologues de la Sillicon valley américaine ou de la French Tech française » ? Ok.

On dit merci à qui ? Merci Afropreneur ! Pour regarder le documentaire, c’est par ici.

 

Ace, @ledisrupteur

 


Notes :

Loin de nous l’idée de disqualifier l’expérience de tous les intervenants. Certains sont des entrepreneurs chevronnés, dotés d’une expérience qui serait enrichissante s’ils prenaient la peine de la partager – ce que certains ont fait. D’autres sont des ballons gonflés à l’hélium, remplis de vent, qui font beaucoup de bruit pour pas grand-chose. Comme l’ont montré certains intervenants, un bon branding ne masquera jamais une faiblesse de contenu ; il faut dire que le contraste entre les vrais entrepreneurs et le reste était assez flagrant.

TEkXL et moi ne seront jamais d’accord sur la façon de bâtir une startup, mais c’est une entreprise sérieuse, qui a le mérite de ne pas cacher son statut d’éprouvette (6). Seulement, il faudrait adapter le discours et le branding à la réalité. Chaque fois qu’ils sont déclinés.

Je n’ai pris aucun plaisir à écrire cet article. Je m’attendais vraiment à de la substance. La chute n’en a été que plus douloureuse. Comme d’habitude dans ces cas-là, j’ai eu recours au sarcasme, histoire de ne pas sombrer dans le fatalisme. Et j’étais excédé par la célébration du vide intersidéral. Je ne m’attendais pas à le rencontrer dans un documentaire qui promettait d’être de belle facture. Ça a fini en presque vaudeville. Bon. On va faire contre mauvaise fortune bon cœur, le film a le mérite d’exister, c’est ça de pris.

 


Sources :

(1) http://www.techofafrica.comTech of Africa, à propos

(2) www.techofafrica.com : Tech of Africa, Afropreneur

(3) Kiss Kiss Bank Bank : Tech of Africa présente Afropreneur

(4) Vimeo : regardez Afropreneur, Histoire d’une révolution silencieuse

(5) Le compte Twitter de Rebecca Enonchong, pour ceux qui débarquent

(6) http://www.tekxl.com : TEkXL transforms ideas into startups

Les valeurs du blog du disrupteur (1)

About Ace (70 Articles)
Ace est un passionné de communication et de startups. Autodidacte formé auprès de professionnels du marketing et de la communication, il allie exploration personnelle, pratique du métier et recherche incessante d'amélioration dans une approche intégrative, qui s'intéresse au secteur de façon globale, en le replaçant au centre de l'entreprise. Sa démarche s'attache à formaliser de manière spécifique les problématiques communicationnelles qui touchent les structures en tenant compte de leurs divers niveaux d'organisation.

1 Comment on Retour sur Afropreneur, un documentaire sur le néant

  1. ça c’est carrément un livre que vous avez écrit

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