Les artistes Africains s’engagent contre les violences faites aux femmes
Depuis plus d’une semaine maintenant, la toile Africaine francophone est secouée par la campagne #VraieFemmeAfricaine, une campagne digitale lancée par la journaliste Bintou Mariam Traoré qui a pour but de remettre en cause le traitement déshumanisant auquel sont sujettes les femmes Africaines sous couvert d’Africanité et ce par le moyen de l’ironie. Cette libération de la parole peu commune sur un continent où la parole des femmes est muselée et toute tentative de remise en question de l’ordre des choses violemment réprimée, en paroles ou en action, est une première, du fait de sa longévité notamment, et de son impact.
Elle s’accompagne de la prise de parole inhabituelle de quelques artistes, qui montent au créneau pour défendre les droits des femmes. La convergence avec une autre campagne qui ébranle la toile ivoirienne, portant sur la libération de la parole des victimes de viol celle-là, sous le hashtag #JeSuisUneVictime, révèle une vraie culture du viol et de l’impunité en Côte d’Ivoire, et pose la question du rôle des politiques et des artistes dans ces sociétés. Interpellés par les internautes qui s’étonnent de leur silence, elle met en évidence une posture de spectateurs plutôt que celle d’acteurs du changement qu’ils portent traditionnellement dans d’autres sociétés, où ils sont à l’avant-grade des revendications positives pour le bénéfice de leurs communautés.
En effet qu’il s’agisse de l’Asie, de l’Occident ou de l’Afrique, les artistes, les politiques et les « bourgeois » ont de tout temps structuré et forgé les mentalités des cultures auxquelles ils appartiennent. Ce que nous considérons à tort comme une culture immuable s’est construite grâce à eux. On se souvient encore du très populaire « International Thief Thief » dans lequel Fela Kuti dénonce les flux financiers illicites en provenance d’Afrique.
Certains artistes comme Salif Keïta s’engagent, notamment dans le combat contre le néocolonialisme. Quid des droits des femmes Africaines ? Cette cause ne vaut-elle pas la peine d’être portée à l’heure où les femmes Africaines subissent des violences et des atteintes intolérables à leur humanité au sein même des foyers qui devraient les protéger ? Où elles sont traitées et considérées par la société comme des biens interchangeables, et n’ont d’autres choix que de se taire et de supporter l’intolérable sous peine d’être rejetées, humiliées et stigmatisées par le plus grand nombre ? L’évolution de la culture Africaine ne passe-t-elle pas par la réhabilitation des droits de l’autre moitié de la société ? N’est-ce pas là un combat louable auquel les artistes devraient s’associer ?
« La révolution et la libération des femmes vont de pair, lance [Thomas Sankara ndlr] dans un discours le 8 mars 1987. Et ce n’est pas un acte de charité ou un élan d’humanisme que de parler de l’émancipation des femmes. C’est une nécessité fondamentale pour le triomphe de la révolution. Les femmes portent sur elles l’autre moitié du ciel. » – « Thomas Sankara, le féministe », Le Monde Afrique
À l’approche du 8 mars, nommée à tort « Journée internationale des femmes » et à raison « Journée internationale du droit des femmes », établie à la suite des luttes féministes menées en Europe et en Amérique et mal assimilée en Afrique subsaharienne – « comme d’habitude » – où elle se traduit par des chants et une remise paternaliste du pagne, la vidant de sa substance, de son Histoire, de sa raison d’être et de sa force et réussissant, par un prodigieux tour de malignité, à le tourner en dérision.
« Regardez ces nègres qui dansent, qui chantent et qui s’habillent au lieu de se battre pour leurs droits ! » dirait un colon ébahi en regardant les esclaves dans le champ se mouvoir au rythme de la musique. « Ils ne connaissent que ça, se réjouir avec insouciance pendant qu’ils se font dépouiller.
Quelle sottise tout de même de gaspiller une journée entière en chants et en danses au lieu de profiter de cette tribune pour faire avancer leur cause ! »
C’est ce que nous aurions écrit si nous étions poètes. D’autres n’ont pas attendu pour mettre leur voix et leur art au service de l’avancement du droit des femmes. KanAd d’abord, un bédéiste Togolais qui met son art au service de la campagne #VraieFemmeAfricaine et de la lutte contre la banalisation du viol et l’impunité, dont les illustrations sont d’une force qui nous oblige à ne pas détourner les yeux sur les violences que nous, sociétés Africaines, infligeons aux femmes.

« Chat noir » | Crédit : KanAd
Laetitia Ky ensuite, une artiste ivoirienne connue pour ses sculptures réalisées à partir de ses cheveux tressés, qui dans un post Facebook a mis en évidence le rôle des artistes dans la promotion de la culture du viol qui sévit dans la société sous l’œil complaisant de tous.
Cette publication met en évidence l’engagement d’un autre artiste, que nous tenons à féliciter au passage pour son implication dans le combat et la condamnation du viol. Il s’agit de Suspect 95, un chanteur ivoirien qui s’est mobilisé sur la question. Il fait ce constat amer au sujet de l’indifférence de la population, qui ferme volontairement les yeux sur le viol et qui accable les victimes en protégeant les bourreaux derrière son dos :
Moi D’habitude je fais un post sur Facebook cest des centaines de like et de commentaire en peu de temps , aujourd’hui je parle de viol la tout le monde a disparu !! INCROYABLE… je comprend tout
— SUSPECT 95 🐊 (@suspect_95) March 5, 2020
JE VIENS DE COMPRENDRE QUE LE VIOL CEST LE SUJET DONT TOUT LE MONDE A PEUR . TOUT LE MONDE FUIT CA . LES GENS TOURNENT LE DOS .
— SUSPECT 95 🐊 (@suspect_95) March 5, 2020
L’artiste a également proposé de prendre en charge les coûts de la procédure et les frais d’avocats des victimes qui se trouvent dans l’incapacité de porter plainte contre leur agresseur par manque de ressources.
Les atteintes au corps des femmes sont des crimes qui nous concernent tous, et qui nous sont inculqués au travers d’une culture du viol promue par le moyen des médias… et de l’art. Comme l’a fait remarquer un internaute :
Aux artistes de prendre leurs responsabilités et d’inverser la tendance. Demandez-vous « que puis-je faire pour que les femmes soient respectées et mieux traitées au sein de ma société, en me servant de mon talent et de la portée de ma voix ? », et faites-le. Dites leurs comme Laetitia Ky :
« Nous serons là avec vous pour que VOS VIOLEURS PAIENT. »
Voir toutes ces femmes ivoiriennes utiliser le hashtag #jesuisunevictime pour denoncer leur violeur met de l’espoir dans mon coeur. Nous serons la avec vous pour que VOS VIOLEURS PAIENT. pic.twitter.com/A6yq7o86bv
— laetitia ky (@laetiky) March 5, 2020

Sources et crédit : http://www.twitter.com/laetiky
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