Communication

Nanawax : la marque que personne n’a vue venir

Consultant en marketing et communication digitale, Ongagna s’intéresse au décryptage des marques africaines et de leur évolution.

Ayant constaté la rareté des contenus professionnels sur le sujet, il décide d’apporter sa contribution en écrivant sur les problématiques marketing auxquelles sont confrontées ces marques. Il est convaincu que les livres participent à élaborer le discours sur le continent, et à le changer. Il est l’auteur du livre Nanawax, La marque que personne n’a vu venir.


Pourquoi donc ?

Pourquoi choisir d’écrire une étude de cas sur la marque Nanawax plutôt qu’une autre ? Pourquoi décider d’en faire un livre ? Ce sont là des questions judicieuses. Cette démarche serait incomplète si je ne prenais pas le temps d’y répondre. Pour vous comme pour moi.

Cela fait quatre ans que la question de la production d’un contenu adapté au contexte local me taraude. D’une façon ou d’une autre après un moment, l’indignation n’a plus suffi, il m’a fallu agir. Rendez-vous compte : lorsqu’un étudiant togolais en marketing souhaite s’instruire, il ne peut se référer à des ouvrages sur des marques locales, auxquelles correspond la réalité dans laquelle il vit.

Lorsque nous désirons nous offrir – ou offrir – un livre sur des entreprises ou des entrepreneurs africains francophones qui vivent et travaillent sur le continent – ou ailleurs -, là également nous sommes confrontés à leur absence. Cette indigence est indécente. Il est de notre responsabilité, à vous comme à moi, de faire chacun notre part pour remédier à cette situation dramatique. Vous me demanderez : qu’en est-il de tout le contenu produit à ce sujet, qui inonde la toile ?

Les ressources dont nous disposons sont des articles laudateurs, écrits négligemment pour la plupart, qui encensent les entrepreneurs et les entreprises concernées pour s’enivrer, le temps d’une lecture d’une minute trente, d’une fierté prématurée. Nulle analyse, nul décryptage. Aucune interrogation, pas même l’ombre d’une critique constructive. Je vous le demande : comment pouvons-nous nous instruire dans ces conditions ?

Quelle valeur ont ces articles qui ne nous enrichissent ni ne créent de valeur pertinente à moyen et long termes ? Une entreprise ou un parcours sont-ils des objets si simples qu’une série d’articles courts, les abordant sous le même angle suffisent à les définir tout à fait ? À nous permettre de les appréhender dans leurs complexités et leurs nuances ? Si tel n’est pas le cas, il est sans doute temps d’apporter une réponse différente à ce problème.

Nous avons coutume de dire que tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse ne pourront que chanter la gloire du chasseur. Je vous réponds qu’avoir des historiens est certes une nécessité, mais que cela dépend du travail de l’historien.

Nous nous devons d’écrire nos histoires, de les conter avec lucidité. De les transmettre comme un patrimoine, car c’est ce qu’elles sont. Cela, afin que nous puissions par la contradiction et la discussion nourrir nos connaissances, et produire du savoir. Un savoir qui sera utilisé pour générer de la richesse, construire notre identité, nous donner des sujets de fierté légitimes. Un livre constitue un format idéal pour servir ce dessein.

Pourquoi Nanawax plutôt qu’une autre marque ?

Cela fait un moment que l’entrepreneuriat est érigé comme voie de sortie par excellence de la précarité économique, et pas seulement sur le continent. Son attrait s’explique par l’ascension sociale qu’on lui associe, souvent à tort. Ses exemples les plus emblématiques, popularisés par des ouvrages et des films à grand budget, ont fait des  entrepreneurs les nouvelles icônes de la culture populaire.

La réalité de la majeure partie d’entre eux est néanmoins très différente des parcours d’un Mark Zuckerberg, d’un Bill Gates, ou d’un Jan Koum. Quand la narration n’est pas en décalage complet avec les possibilités d’un jeune ivoirien de Yopougon Toits Rouges qui se prendrait à rêver de devenir le prochain Aliko Dangote.

Sauf qu’il ne rêve pas de devenir le prochain Aliko Dangote, qu’il ne connaît peut-être pas d’ailleurs, et qui ne le fait pas vraiment fantasmer. Lorsque l’on vit dans un environnement qui ne nous donne pas de raisons d’espérer, on cherche une porte de sortie. Celle-ci prend la forme d’un rêve, d’une possibilité d’évasion. Et cette évasion nous conduit le plus souvent ailleurs. Partir n’est plus seulement une fantaisie,  une vue de l’esprit. Cela devient une envie qui prend corps, se solidifie avec le temps, se change en un projet viable susceptible de sauver une famille, un village. Qui se met à rêver au travers de nous.

La balade imaginaire se transforme en nécessité. C’est pour ça que de jeunes gens qui semblaient avoir toute la vie devant eux trouvent la mort dans les eaux de la Méditerranée.

Il nous fallait à vous, à moi, comme à eux, un entrepreneur auquel l’on puisse aisément s’identifier. Un entrepreneur dont le parcours, la personnalité, les difficultés, les préoccupations et l’histoire nous sont familiers. Une entreprise dont l’évolution corresponde à une réalité à laquelle nous pouvons nous associer. C’est là toute la magie de Nanawax : cette marque nous parle.

Nanawax 

Dix ans. C’est le temps qu’il aura fallu à Maureen Ayité pour faire de Nanawax un « household name ». Du petit commerce informel de prêt-à-porter en wax qui a vu le jour dans un groupe Facebook sur internet en 2012, à une marque qui a de bonnes chances de devenir un jour un empire, Nanawax est une marque singulière, qui cumule les bons points, mais étrangement – de façon assez paradoxale -, les anomalies. Le fait qu’elle soit une marque digitale native dont le point faible principal est son branding internet n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.

Car l’actif le plus important de cette entreprise est bien sa marque, qui constitue un véritable capital financier. Il n’est pas anodin qu’il s’agisse de la seule marque francophone qui figure dans le top vingt-cinq des marques africaines les plus admirées du continent. Le magazine sud-africain African Business la place d’ailleurs à la dix-septième place de son classement 2019. Devant Ethiopian Airlines, la plus grande compagnie aérienne d’Afrique, un cas d’école elle aussi.

Son chiffre d’affaires lui est pourtant inférieur de 99,95 % environ, suivant mes estimations. En dépit de cela, elle parvient à la supplanter en termes de brand consideration, qui constitue une étape importante de conversion des prospects. Avec de très faibles moyens, elle a acquis les meilleures pratiques du marketing authentique, tout en comblant les aspirations de son public. Un marketing consolidé par des valeurs et des émotions ; des actions réfléchies, un apprentissage ciblé, et la construction d’un lien de confiance qu’elle entretient et nourrit régulièrement, et ce depuis ses débuts.

En effet, le groupe Facebook « J’aime le pagne de chez moi » est d’abord un groupe de partage et de recommandations, avant que le destin de sa créatrice ne bascule avec une publication sur sa première vente privée. Cette faculté à maintenir son pouvoir de prescription donne à sa marque un avantage concurrentiel dont ne disposent pas les autres marques. Le fait qu’elle en fasse bénéficier un cercle choisi de clientes fidèles, en leur offrant des cadeaux – gratuits -, ou en les conviant à des ventes privées dont l’expérience sort de l’ordinaire renforce son attractivité.

Maureen Ayité est une fondatrice particulière, qui utilise du beurre de karité Sahel Emmanuel, boit du champagne Billecart-Salmon, les teste, s’assure de leur qualité, puis invite ses clientes à une vente privée où elle leur en offre. Rarement, la vie privée et la vie commerciale d’un entrepreneur se seront entrelacés à ce point, le digital faisant office de caisse de résonance. Cela a un triple effet. La générosité, la confiance, la fiabilité, telles sont les valeurs qu’elle convie sans les prononcer ni les écrire.

Des valeurs que ses followers attribuent spontanément à sa marque, dont le nom se confond avec le sien. Ils se fondent dans l’expérience de marque, dont la bienveillance, manifeste au travers de petits messages sur les étiquettes produits qui invitent à l’acceptation de soi permet de créer une expérience positive et de tisser une relation privilégiée avec ses aficionados. Sans que le nom de la marque ne soit prononcé une seule fois. Au fil des publications, des stories, des buzz plus ou moins positifs, le nombre d’admirateurs grandit, le rang de ses détracteurs également.

Cela en fait une marque aspirationnelle, dans laquelle nous distinguons des stratégies propres au marketing de luxe et du personal branding, sans que la marque ne bascule dans l’un ou dans l’autre. Elle demeure un rêve accessible, un rêve que l’on a envie de concrétiser en rejoignant ses rangs. Peu à peu, dans l’imaginaire collectif, on ne célèbre plus un diplôme ou une promotion en achetant des Louboutin, mais en s’offrant une tenue Nanawax. La marque est spontanément associée au passage des étapes majeures de la vie de ses clientes, elle constitue désormais un moyen de les célébrer. Elle les marque, en quelque sorte.

Dans un premier temps associé au dépaysement et au voyage d’une jeune Africaine fidèle à elle-même, grâce au visual storytelling dont Nanawax a fait sa signature, elle a également bénéficié par la suite d’un spectaculaire retournement de situation, au moment où elle en avait le plus besoin : en plein milieu d’un bad buzz. Suite à des plaintes répétées de clientes après des ventes privées, et au vu de la réaction de sa fondatrice, qui a pris à parti les clientes concernées sur les réseaux sociaux, la marque se trouvait dans une posture délicate lorsqu’un article a tout changé. Cette intervention providentielle, Maureen la doit à une redoutable communicante.

Mylène Flicka, de son vrai nom Marie-Madeleine Akrota, est la fondatrice de la communauté panafricaine en ligne Irawo, qui comporte un média. Au travers de ce dernier, elle s’est donné pour mission de montrer aux jeunes africains qu’il est possible de réussir chez eux et de vivre de leur talent. Pour ce faire, elle va à la rencontre d’individus auxquels ils peuvent s’identifier, et dont l’impact sur leur environnement est notable. Ceux « (qui) n’ont pas peur de casser la baraque avec leur passion et leurs rêves ». Les « Irawo » – « étoile » en langue nagô.

Son média a une spécialité : dresser leur portrait au travers d’interviews à cœur ouvert, qui reviennent sur leur parcours et prennent la forme d’un partage d’expérience. On y retrouve tout ce qu’il manque à ces talents au moment où elle les rencontre. De la vulnérabilité d’abord, parce que personne n’aime les gens parfaits, une suite de défis à relever ensuite. Des trahisons, des circonstances pénibles… Puis l’émergence de qualités qui leur permettent de triompher des difficultés qui jalonnent leur route, à force de courage et de détermination. Une motivation qui les guide, les pousse à agir pour échapper à une condition quelconque et enfin, le changement de vie engendré par cette somme de travail et de persévérance.

Tout le génie de Mylène est là : raconter des histoires qui changent les individus en établissant des connexions entre eux, qui créent un réseau d’admiration mutuelle et de soutien ; élaborer un seul et même message qui se déroule le long de l’entretien, se communique intensément au lecteur grâce à sa trame narrative, qui permet de décupler l’intensité des émotions qu’il ressent et s’imprègne dans son esprit.

En racontant l’histoire de Maureen, en l’amenant de la façon dont elle l’a fait, elle a permis au public de s’identifier à elle. Nous avons tous, à divers degrés, vécu une des situations ou ressenti l’une des émotions qu’a vécues Maureen le long de son parcours. Nous avons été trahis, la vie nous a endurcis, nous avons rêvé et continuons de le faire. En lisant cette interview, nous nous sommes rendu compte qu’elle était comme nous. Qu’elle était humaine, imparfaite, et son courage a forcé notre respect. Une chose avait changé : nous la connaissions à présent. C’est là qu’est intervenue l’empathie.

On ne peut haïr une personne que l’on comprend, à laquelle l’on s’identifie. C’est à ce moment précis que Maureen Ayité et Nanawax sont respectivement passés de « chef d’entreprise indélicate » et « marque de vêtement » à « source d’inspiration » et « marque symbole ». C’est à ce moment-là qu’est née la tribu Nanawax. Aucun de ces éléments n’est fortuit.

Je suis d’avis que les talents qu’elle met en avant devraient rémunérer ses services, ce qui n’est toujours pas le cas. Propager une histoire une fois est un coup de chance, refaire la même chose à chaque fois relève d’une vraie compétence. Maureen Ayité est le dixième Irawo de Mylène.

Cette interview a fait de Nanawax et de sa fondatrice des exemples, des symboles. Elle leur a associé des valeurs de discipline, de travail, de persévérance, dans lesquels se retrouve sa tribu. Cette dernière est coutumière du secteur informel qui constitue, selon un rapport datant de 2017 du Fonds Monétaire International (FMI), entre 20 et 65% du produit intérieur brut (PIB) des pays d’Afrique subsaharienne. Ce passage de commerce informel à entreprise panafricaine force donc d’autant plus le respect qu’il est difficile à effectuer. Sa tribu s’y reconnaît de nouveau, car elle est constituée de gens qui espèrent qu’à force de travail et de volonté, tout comme elle, ils concrétiseront leurs rêves.

Du « storytelling réaliste », une marque qui existe entre deux univers – pas tout à fait entreprise classique, pas tout à fait business sorti de l’informel. Une entrepreneure moderne dont la gestion rappelle celle des Nanabenz dont elle s’est inspirée pour nommer sa marque. Un pont entre le passé et l’avenir. Des techniques de gestion qui concilient les outils occidentaux et l’approche Africaine subsaharienne des pays dont elle est originaire. Un hybride dont l’ambition tarde à se concrétiser… C’est là l’objet de notre étude.

Nanawax est une marque qui donne le sentiment que tout est possible. Qu’il est possible d’évoluer, de devenir une meilleure version de soi-même. Elle dit à ses clients qu’ils ont le droit de s’accepter, elle les invite à se battre pour ce qu’ils veulent et à rêver grand, en ayant sous les yeux un exemple que cette stratégie porte ses fruits ; elle les transforme et les pousse à l’action, ce qui en retour, fait d’eux des ambassadeurs engagés.

Vous vous demandez sans doute comment faire de même. « Comment créer une entreprise prospère alors que je n’ai pas grand-chose ? », se demandent la plupart des gens. Ce qui vous manque n’est cependant pas de la confiance en soi, c’est un plan. L’histoire de Nanawax est un guide à l’aune duquel vous pourrez découvrir comment réussir dans votre propre activité. À la frontière entre le récit et l’analyse marketing, nous allons nous tenir sur la crête, et revenir ensemble sur les pas de l’entreprise et de sa fondatrice.

Car l’histoire de Nanawax est une aventure truffée de leçons, dont Maureen Ayité est l’héroïne. Elle en a l’ambition, le caractère et la trempe. Cette étude de cas singulière est un cas d’école. Elle est d’autant plus passionnante que ses protagonistes ont encore des choses à prouver, des montagnes à gravir. Car la fin de ce livre ne sera que le début d’un autre.

Pour commander le livre, en Afrique et dans le monde : www.ominga-ongagna.com

Ominga Ongagna

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