Communication

Pourquoi je n’aime pas les contes de fées africains

Les 5 valeurs fondamentales du blog du disrupteur

Je dédie cet article à mes confrères blogueurs, et journalistes amateurs de façon générale. Je me parle à moi-même lorsque j'écris, de même qu'à mes lecteurs. Cette histoire commence ainsi :

"Il était une fois, au pays des fois, un entrepreneur africain..."

Les interviews et articles qui fleurissent sur la toile au sujet des entrepreneurs africains et de leurs créations depuis bientôt 5 ans pourraient commencer ainsi. Ils dégoulinent de sucre fondu et de caramel, de quoi nous dégoûter à jamais de certaines plateformes. Un manège que l’on observe chaque fois avec consternation, en se disant que non, décidément, ils vont se décider à nous prendre au sérieux au bout d’un moment. L’on comprend rapidement, au fil d’articles redondants bâtis sur le même model que, non seulement ils ne nous prennent pas au sérieux, mais qu’ils ne se prennent pas au sérieux eux-mêmes. Et qu’ils respectent encore moins leurs sujets.
Comment expliquer sinon la simplicité enfantine des questions posées, et la naïveté avec laquelle est effectuée le traitement de l’information ? L’on se croirait aux balbutiements de la presse jeunesse :

« alors mon petit, vous avez créé une entreprise innovante ? C’est biennnn… Ce que c’est dur quand même, en tant qu’africain ! C’est quoi votre produit, déjà ? Ah d’accord… Oui oui, bien sûr, vous allez révolutionner l’Afrique avec un produit pourri que personne n’a testé de façon objective, vous êtes africain, pas besoin d’être critique… bon et bien, on était ravi de vous avoir ! L’Afrique avance les amis ! Et on en est heureux. Smile, coupez les projecteurs ! »

Ce qui reste marrant dans tout cela, c’est que tout le monde a le sentiment du devoir accompli ; l’interviewer qui a promu cette « Afrique qui marche », et l’interviewé, symbole de « cette jeunesse qui cherche à s’en sortir ». Et c’est tout. Chacun rentre chez soi, en songeant à la prochaine interview, l’un pour faire tomber un peu de lumière sur « l’Afrique en marche », l’autre pour symboliser cette « Afrique à l’oeuvre ». Les problèmes ?

Le copié-collé

Les interviews se ressemblent tant et si bien que l’on a l’impression qu’elles disent toutes la même chose, que l’on apprend rien de nouveau. L’on aurait sélectionné des clowns de part et d’autre que ce serait pareil. Les blogueurs posent les mêmes questions et les entrepreneurs donnent les mêmes réponses, à quelques variantes près. A croire qu’ils prennent les lecteurs pour des autruches, ce que nous sommes certainement, puisque nous ne nous en indignons pas.

C’est désespérément court

Tellement qu’en fait, l’on a à peine le temps de savoir qu’ils existent que c’est déjà fini, l’on se sépare du monsieur ou de la demoiselle sans bien savoir de quoi il s’agit, un peu déçu de n’avoir rien compris, content quand même du fait que « l’Afrique avance les amis ! » L’on partage la publication aussi sec, et l’on passe au suivant. On les consomme comme des Kleenex, les salissant tous, n’en retenant aucun, n’en tirant nulle substance. Parce qu’ils ont de la substance, justement. Trop pressés pour les faire parler vraiment, pas assez intéressés pour les pousser dans leurs retranchements, pour voir ce qu’ils ont dans le ventre, nous ne découvrons véritablement leurs produits, leur personne et leur vision qu’une fois sur les plateformes étrangères – lorsqu’ils ont la chance de parvenir jusque-là à force de travail et de persévérance dans le noir.

Le manque cruel d’objectivité

C’est Africain, donc c’est forcément excellent.

Pas excellent parce que ça l’est vraiment, non, excellent parce que faire quelque chose, c’est déjà bien, peu importe que ce quelque chose remonte avec peine la pente de la médiocrité. L’honnêteté est battue en brèche par une tolérance qui dissimule mal notre absence de foi en nos propres capacités. Pourquoi encenser moins que de l’à-peu-près sinon ? Notre travail est de valoriser, certes, mais aussi de critiquer. Bâtissons de la valeur, diable !

C’est cela notre véritable boulot

Ce n’est pas juste de « promouvoir des talents » qui n’en sont pas, ou de se répandre en polémiques inutiles (les « médias caniveaux », vous connaissez ?), notre boulot, à nous autres blogueurs, YouTubeurs, journalistes amateurs et autres, est de valoriser ce qui mérite de l’être, d’informer nos lecteurs, de critiquer – de sanctionner même ! -, lorsque cela s’avère nécessaire. Inutile d’attendre que cela paraisse aux yeux du monde entier parce que, tenez-vous bien, si nous sommes confortablement parés de nos œillères en nous disant que « au moins, l’on fait quelque chose, c’est déjà ça », le reste du monde ne s’embarrasse pas de cette indulgence de mauvais aloi. Reconnaissons déjà que :

Nous sommes coupables

D’absence de confiance, d’abord. En nos capacités et en celles de ceux que l’on interviewe.

De négligence, ensuite. Nous sommes-nous vraiment renseignés sur celui ou celle que nous recevons en interview ? Avons-nous effectué toutes les recherches préalables ? Avons-nous pris le temps d’écouter, d’analyser les propos et autres supports de travail recueillis ? Avons-nous communiqué le sujet de l’interview à notre hôte ?

De paternalisme, encore. Nos hôtes ne sont pas des enfants, un blogueur ou un journaliste amateur n’a pas à se demander si son interlocuteur est apte à répondre à une question sans se ridiculiser. Il connaît le sujet, à lui de se préparer en conséquence. Notre rôle est de l’essorer suffisamment pour souligner sa particularité, son interprétation du (des) sujet(s), son expertise, etc., comment voulez-vous créer de la valeur autrement ?

Parlons-en, du paternalisme

Tout cet apitoiement et cette complaisance malvenue viennent d’une cause majeure, entre autres : on ne les fait pas parler, parler vraiment, j’entends. Je suis malade de rage lorsque je lis la pléthore d’interviews d’entrepreneurs africains : l’on a fabriqué une espèce de conte de fées à trois sous que l’on nous sert tous les jours ; on raconte ses débuts, son parcours et on lui fait dire comment il vit son succès pour combler les trous, et voilà ! Quelques questions bateaux sur le succès et ses ingrédients, voire même une recette toute faite et c’en est fini de l’interview.

Comment voulons-nous être pris au sérieux avec ça ? Mettons-les en difficulté merde, ce ne sont pas des gamins mais des entrepreneurs, des gens qui se mettent en danger tous les jours, qui abattent des barrières et font face à des défis dont nous n’avons aucune idée vous et moi ! Ils ne doivent pas arriver à une interview les mains dans les poches parce qu’ils sont au fait de la teneur des questions voyons ; déstabilisons-les, pressons-les comme des citrons, extrayons un peu de ce jus de leur passion, cette essence qui les fait différents, audacieux, géniaux même ! C’est notre rôle ça, de transmettre au public ce qui se passe vraiment, à quel point ils sont atypiques, astucieux – ou pas d’ailleurs.

Faisons-les discourir sur des sujets d’intérêts, pas sur des futilités

Ce que je dis vaut pour tous les talents africains. « Africain » ne signifie pas médiocre ou demeuré, c’est pourtant l’image que nous véhiculons en les interviewant et en racontant leur histoire de cette façon. Il faut arrêter deux minutes, ils ont créé des entreprises depuis mille ans et depuis mille ans, nous parlons de la fondation des entreprises en question avec extase. Chez moi on dit « é sili depuis kala kala, oza kaka ko bimissa mêmes makambo mikolo tuu » (c’est fini depuis longtemps et tu ressors les mêmes choses tous les jours), ça suffit ! Leur entreprise lance un nouvel outil ? Axons l’interview dessus, faisons de l’user experience honnête, descendons-les au besoin. Si c’est médiocre, nous leur rendrons un mauvais service en scandant que parce que c’est africain, c’est tout-beau-tout-parfait alors que l’on sait tous que ce n’est pas le cas, arrêtons de nous décrédibiliser en même temps que nous les décrédibilisons please.

Qu’ils s’expriment sur des vrais sujets ; la transition numérique par exemple, la très forte pénétration du mobile et son incidence sur la consommation locale, les fausses promesses de l’entrepreneuriat, le bond numérique de l’Afrique, ses possibilités d’évolution, la différence entre l’environnement économique occidental et africain, les différences entre les économies africaines francophones et anglophones, la structuration du secteur, les nouveaux métiers de la révolution entrepreneuriale, la transition numérique au niveau des ménages, la part du secteur informel dans l’économie africaine, … Il y a tellement de sujets ! Rendons-nous fiers de les citer, de parler de leur point de vue sur telle ou telle question d’actualité, faisons-en des ténors en leurs matières qui nous font bomber le torse et sourire en coin, c’est notre tâche, notre boulot – notre sacerdoce même ! – dans la construction de l’image africaine !

Ne nous y trompons pas, l’Afrique c’est nous tous qui la faisons

Oui, même toi qui lit sans partager l’article d’un talent africain pour te plaindre par la suite de son état. Personnellement ça m’a tellement énervé que j’ai ouvert un blog ! Si une situation vous indigne, ne regardez pas votre voisin, prenez-la en main ! Si nous sommes dix puis cent, puis mille à le faire, nous changeons le monde.

Voyez vous-même : s’ils savaient qu’ils risquaient de se faire épingler, les entrepreneurs y réfléchiraient à deux fois avant de mettre sur le marché des produits inaboutis, qui semblent se moquer des utilisateurs, ils travailleraient d’arrache-pied pour les améliorer. Voyant cela, d’autres se serviraient de ces critiques constructives pour avancer, ne plus refaire les mêmes erreurs, cela créerait une saine émulation, parce que sanctionnée (positivement et négativement), par des arbitres impartiaux. Plus il y en aura et plus ces derniers seront qualitatifs, une boucle vertueuse pour tout l’écosystème startup africain en somme.

 

Formons-nous

Non, je ne vous demande pas de retourner à l’école. Je vous demande d’observer, d’analyser les publications de journaux sérieux, de prendre des notes et d’expérimenter. Je ne vous demande pas de reproduire ce qu’ils font, mais d’intégrer la façon dont ils le font, de la critiquer (qui a dit qu’ils étaient parfaits ?) et d’en tirer le meilleur parti. Ce que je vous demande, chers amis, est de reprendre à votre compte leurs recettes, en l’adaptant à votre sauce, suivant les ingrédients en votre possession, et le contexte qui est le nôtre. L’Afrique ce n’est pas les États-Unis oh ? Bon.

Ce ne sera pas parfait, ce ne sera peut-être pas exceptionnel tout de suite, mais l’essentiel est d’avancer un petit peu tous les jours, d’enrichir l’écosystème entrepreneurial africain, d’écrire les pages de son histoire. Cela, on ne peut y arriver qu’ensemble. Si vous avez appris quelque chose, écrivez un article ou un post Facebook et partagez-le. Vous ne voulez pas tenir un blog ? Pas grave, Medium est là, c’est intuitif, facile à prendre en main. Je vous encourage à partager vos connaissances avec nous tous, à échanger via les réseaux sociaux ou autour d’un verre. Cela, dans un même dessein : nous améliorer pour bâtir l’Afrique, ensemble.

barreblanche

Ace


Je félicite tous ceux qui font du bon boulot, vous êtes une source d’inspiration pour nous tous.

Les 5 valeurs fondamentales du blog du disrupteur

 

About Ace (70 Articles)
Ace est un passionné de communication et de startups. Autodidacte formé auprès de professionnels du marketing et de la communication, il allie exploration personnelle, pratique du métier et recherche incessante d'amélioration dans une approche intégrative, qui s'intéresse au secteur de façon globale, en le replaçant au centre de l'entreprise. Sa démarche s'attache à formaliser de manière spécifique les problématiques communicationnelles qui touchent les structures en tenant compte de leurs divers niveaux d'organisation.

2 Comments on Pourquoi je n’aime pas les contes de fées africains

  1. J’ai failli dire c’est beaucoup plus facile à dire qu’à faire et puis je me suis rendu compte que valait mieux pas…
    Malheureusement nous sommes nombreux à ne pas vouloir froisser les talents Africains, il ne faut surtout pas les descendre parce que c’est comme si on ne les soutenait pas. Le fait que tout le monde fasse pareil rend encore plus difficile la tâche à celui qui veut être objectif. On craint de paraître rabat joie quand tout le monde applaudit sans réfléchir. Aussi entre les critiques constructives et la critique gratuite il n’y a qu’un demi pas et malheureusement on a encore du mal à ne pas le franchir. L’article m’à un peu giflée parce que j’évite encore de dire tout ce qui ne va pas dans un livre lorsque j’en fais le compte rendu. D’ailleurs après t’avoir lue je suis allée faire une modification dans un article. J’espère pouvoir m’améliorer en terme de critiques même si je suis encore une partisane de si tu n’aimes pas tu n’en parles pas où tu le fais en privé. Mais bon c’est seulement possible quand on connaît la personne de manière personnelle. Sinon tu recommanderais quels médias à étudier en terme d’interviews ?

    Aimé par 1 personne

    • En Afrique, l’on considère encore que critiquer, c’est couler l’autre. Nous devrions plutôt considérer les choses ainsi : prendre le temps de critiquer un ouvrage de la façon la plus objective que l’on puisse, c’est le plus bel encouragement que l’on puisse faire à son concepteur.
      Pour répondre à ta question, en lieu et place de noms, je te donnerai des indicateurs. Le premier est qu’une bonne interview est menée par un interviewer qui connaît son sujet, qui pose des questions précises à l’interviewé. Le second est qu’elle souligne les qualités du sujet de façon profonde – ces qualités peuvent être négatives ou positives, pourvu qu’elles l’éclairent sous un angle intéressant. La définition de ce mot dépend de toi. Pour le reste, le but dans lequel est conduite l’interview détermine également sa pertinence.

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