Peut-on appliquer une stratégie « Millenials » au Cameroun ? (2)
Serge Massango est un professionnel camerounais qui possède plusieurs cordes à son arc : Project Professional Manager, Chief Creative Officer, Marketing Manager, WebDevelopper, WebDesigner, Online and Digital Manager, il est également producteur et animateur radio/TV et fondateur d’Obosso, « une plateforme d’analyses, un recueil d’avis et de paroles sincères de citoyens qui n’ont pas froid aux yeux et qui disent ce qu’ils pensent ». Sourire. Founder et CEO d’Artecaa, il gère la plateforme de travaux ponctuels rémunérés eboloo.com. Vous pouvez le retrouver sur LinkedIn.
Série : Peut-on appliquer une stratégie « Millenials » au Cameroun ?
Partie 1 – De la circonscription de la notion de « millenials »
Partie 2 – Le profil des « millenials » Camerounais
Critique relative aux deux premières partie de la série, par Prosper Mankuikila
Cet article a initialement été publié sur obosso.net.
Partie 2
Le profil des « millenials » Camerounais
Etant donné la quasi-systématique importation des concepts Occidentaux dans les bureaux de conception en milieu Camerounais, autorisons-nous à confronter ce qui ne serait pas exagéré de considérer comme une idéologie, avec les données du terrain.
I. Made in West vs Made in Cameroon
Importation au passage, qui trouve sa cause dans la sous-valorisation culturelle que certains Africains font d’eux-mêmes. En témoigne le buzz lié au fait qu’une Française, Sénégalaise d’origine, Sibeth Ndiaye, soit responsable de l’image du candidat – et désormais, Président Français – Macron. Si d’un point de vue personnel, elle n’a pas à se justifier ou se culpabiliser sur son parcours et ses choix, il faut pointer du doigt l’attitude de certains Africains qui voient cela comme un exploit particulier. Comme si conseiller le Président Français à l’opposé du Président Sénégalais serait plus valorisant ou que le « bravo » du spectateur du concert de Youssou Ndour à Bercy aurait plus de valeur que celui qui est à Dakar. Et donc que Youssou N’dour serait forcément meilleur qu’un chanteur local ; quoique ce dernier soit excellent ambassadeur de l’Afrique. Nous devons résolument sortir de cette aliénation mentale qui nous empêche de nous valoriser et de se dire que le Blanc est systématiquement plus fort que l’Africain.
Mais revenons à la conception Camerounaise du millénial.
Une façon de s’interroger sur l’appropriation de ces trends par les marketistes locaux ; car le questionnement en vaut la peine. S’agit-il d’une évolution réelle de la discipline (mieux appréhender les clients pour leur proposer des produits qui correspondent à leur besoin) ou bien, une forme de suggestion subliminale ou flagrante, qui impose au consommateur une vue orientée de ses besoins? Nous nous devons d’exercer une analyse comparative, non pas pour faire du moralisme, mais pour infirmer ou confirmer le fait que les mots et les concepts ne seraient que le substrat des idéologies et préméditations.
II. Le marketing de plus en plus suggestif
A bien des égards, le marketing orienté sur les mots, relève plus de la suggestion subliminale que le simple placement de produit. En communication politique ou sportive par exemple, les sondages, études et autres multiplications d’apparitions médiatiques ont tendance à matraquer les idées au départ et à faire croire aux potentiels consommateurs qu’ils font un choix, délibéré (répétition volontaire). Que les produits proposés répondent à un appel du marché.
Mais au fond, ce n’est pas sur la réalité actuelle que la marque communique, mais sur la réalité future qu’elle veut imposer aux consommateurs.
Autrement dit, les produits et services ne sont pas le reflet des demandes des clients, mais le résultat d’idéologies préconçues et que l’on veut imposer à la société. Sinon, comment expliquer que des gens parfaitement constitués trouvent normal de rechercher des objets virtuels en risquant parfois leur mort (Pokémon) ? Ou bien, que les influenceurs en Occident se révèlent être des gourous. Cela se voit aussi très bien et ce, sans discussion ou culpabilisation, dans l’industrie de la mode ou de la musique, où les artistes « créent » des concepts nouveaux sans avoir besoin de faire des études de marché.
III. Analyse point par point
Sur la base donc des convergences des définitions du millénial, nous ferons des comparaisons empiriques afin de dégager le profil du « millénial » Camerounais, afin de voir en quoi est-ce qu’il peut s’adapter localement.
1/ La période de naissance
Il semble prétentieux, en fait, c’est même inutile de vouloir différencier les milléniaux d’ici avec ceux des autres, car la naissance est un facteur largement partagé par tous, qui n’obéit pas à une influence culturelle, idéologique, religieuse, biologique, politique, etc. On nait simplement un jour et c’est comme ça.
2/ Le caractère de liberté, le besoin d’épanouissement, le rapport à l’autorité
Prenons un cas. En entreprise, un millénial est censé vouloir créer un impact, s’épanouir, braver les traditions, bouleverser les choses, etc. Tout Camerounais qui tombe sur ces lignes éclaterait de rire, car plus conservateur, plus sage ou poltron, c’est selon, plus traditionaliste que le Camerounais au travail, y en a pas. Surtout, chez les jeunes. Ils sont plus qu’obéissants, anticipent les frustrations et colères de leurs managers. D’ailleurs, ils ne l’appellent pas « manager » ; ils l’appellent « chef », comme pour signifier leur engagement loyal (disons plutôt militaire) à ne pas froisser le supérieur hiérarchique. A telle enseigne que le maillon qui ose défier le statu quo ou les choses préétablies, est directement repris, parfois sévèrement, par les insultes, la moquerie, la dureté ou par des conseils qu’on qualifierait de sagesse.
Et cela peut s’expliquer par le fort taux de sous-emploi au Cameroun (plus de 71 %), malgré un chômage à moins de 5%. Et si on ajoute la précarité des emplois à peu près stables, on ne peut pas se permettre de penser un seul instant que le millénial s’inquiéterait de savoir s’il est épanoui ou pas. Il « se cherche » encore, pour utiliser une expression d’ici. Et ce, que cela soit avec un salaire bas (il essaie d’être sage) ou élevé (il protège ses acquis). Envisager une démission pour quelque raison que ce soit en vue de trouver quelque chose de plus épanouissant ou rester à la maison en attendant, doit être suffisamment soutenue (déplacement géographique, salaire plus élevé ailleurs, égo surdimensionné, etc.), quitte à être très souvent humilié ou à servir de garçons de course au chef. Pour eux, il est hors de question que des générations qui gagnent moins que leurs parents, s’hasardent à jouer avec le « peu de travail » qu’il y a. Après, comme partout dans le monde, y a des paresseux pour démissionner et rester à la maison.
D’ailleurs, cette réflexion est fait dans le milieu privé, car dans le secteur public, il semblerait que les postes sont à vie, entendez, « je ne démissionnerai jamais, tant que mon salaire passe.». Et il passe en général .
3/ La question de la passion
Clairement, les Camerounais sont passionnés. De beaucoup de choses. Y a qu’à voir les agacements qu’ils ont produit chez les autres pays Africains avec la 2ème place des dames et la victoire des messieurs lors des coupes d’Afrique des nations de football de 2016 et 2017. Ils ont littéralement tout mis « dans la sauce ».
Pour autant, même en étant passionnés, un jeune qui a un salaire « convenable » en tant que comptable, aura du mal à abandonner son emploi pour vivre une passion dans la musique, le sport ou un autre métier de l’art pour ne citer que ces domaines-là, si financièrement il ne progresse pas. La stabilité est le maître-mot et le conseil primordial que les uns et les autres, parents amis, collègues se passent. Les métiers « instables » ne doivent en aucun cas être pris en compte. Le jeune lui-même cautionne l’idée qu’il ne fait que suivre les traces des aînés, qu’il est dans un moule et un système qui demande qu’on ne le modifie pas. Les choses sont si verrouillées que des facteurs nouveaux seront favorisés à l’instar de la corruption. C’est-à-dire qu’on paie pour entrer et s’installer dans un système qui demande tout, sauf à être réformé. Et on lutte pour que cela demeure ainsi. D’ailleurs, les blagues que l’on fait souvent aux « Néo » (cf. film Matrix) tout enthousiastes, est « quand tu vas rentrer dans le système, tu vas obtempérer ; pour l’instant, tu es encore jeune ». A 95%, cela se vérifie. Le pays justifie une fois de plus son fameux dicton, « on va faire comment ? ». Une façon de dire, « suivons le train », même si on sait que ça va dérailler un jour.
4/ Le rapport à la technologie
Déjà que le millénial est né dans la période forte de la technologie digitale. Mais ce n’est que le reflet normal de l’avancée (pas forcément « progrès ») de l’humanité. Il est peut-être né dans cette période, mais il n’est pas l’utilisateur exclusif des outils dérivés. Les interprétations diverses font comme si le fait d’être né à cette époque dotait au millénial l’exclusivité de l’usage de la technologie. Toutes génération l’utilise, et parfois plus qu’on n’y croit. C’est juste une question de centre d’intérêts. Certains seront plus Snapchat et Instagram que d’autres. Et les autres seront plus achat en ligne ou e-learning que les uns. Mais on ne peut pas démontrer que les milléniaux sont plus utilisateurs des technologies que les autres générations. Et surtout pas au Cameroun. Utiliser un équipement digital ou un service y lié, suppose d’avoir du pouvoir d’achat. Question : Qui l’a au Cameroun pour justifier ces achats ? Les milléniaux, bien-sûr. Mais aussi les autres, à proportion égale. La tendance montrerait même que ce sont les générations dites baby-boomers qui achètent pour eux-mêmes et offriraient aux autres.
Toutes les générations sont « Android » au Cameroun. Tout le monde a un portable, a un compte Facebook, discute sur WhatsApp, fait des transferts électroniques, va régulièrement sur internet. Je devrais dire, toutes les composantes de la société. Les milléniaux n’ont certainement pas l’apanage de l’usage du digital.
5/ L’engagement pour les causes
Le même principe établi plus haut, se retrouve dans ce critère. Il n’existe pas à proprement parler d’un vent de jeunisme dans les couloirs des différentes revendications sociales ou écologiques. Mais le millénial revendique ; à n’en pas douter. Seulement, il fait partie d’un groupe hétérogène de protestataires. La crise anglophone, le sort de médecins, avocats, enseignants grevant, la question éducative, sanitaire, les plaintes liées à l’alimentation et la consommation, etc. sont autant de domaines où le millénial peut se retrouver, sans que ce qui le motive à y être soit du ressort de son « millenialisme » latent. La plupart des jeunes qui s’engage ont encore besoin de leaders, politiques, sportifs, sociaux pour leur donner le courage de faire ci ou faire ça. Il serait injuste de dire que le millénial s’en fout du sort de son pays. Mais il serait plus approprié de circonscrire le cadre des revendications dans des mouvements de foule, initiés par plus grand que lui et surtout pas à cause d’une vision personnelle qu’il voudrait mettre en place. Probablement que cela est en partie dû à un système gouvernemental Camerounais qui ne laisse pas beaucoup de place à la résolution des problèmes réels. Ne voyant pas d’issue favorable aux précédentes situations, le millénial, une fois de plus, bien qu’ayant de la compassion ou l’envie de changer les choses, ne se démarquera pas comme tel et s’identifiera au reste du pays, en butant devant le célèbre « on va faire comment« .
On pourrait éventuellement tenir compte des espaces réduits d’action comme les réseaux sociaux. Combien de blogs sont dédiés aux causes, en opposition à ceux qui sont des versions libres des tabloïds et magazines people? Sans condamner qui que ce soit, les blogs à succès sont plus d’ordre professionnel et concernent plus la mode et les potins. Les quelques rares blogs ou espaces de réflexion dédiés à des causes de type « changer la société » ne sont que très peu suivis et encouragés. A peine quelques billets et quelques followers. L’inertie et le découragement ont littéralement paralysé toute entreprise de changement de la société. Et cela touche aussi le millénial. Qui conséquemment ne peut se qualifier de millénial, car n’exprimant pas son côté « défendre une cause ».
Dans le prochain billet, nous analyserons l’impact des stratégies « millenials » des entreprises au Cameroun.
Serge Massango
Le coin des experts est une rubrique du blog du disrupteur. Elle accueille les contributions de personnes ayant une certaine expérience en entrepreneuriat, en communication, en marketing ou dans n’importe quel autre domaine connexe. Le but de cet espace est de permettre au public cible de profiter de l’expérience des professionnels des différents secteurs d’intérêt.
Votre commentaire