Communication

[Regards croisés] Un état des lieux des écosystèmes startups Africains (1)

Les 5 valeurs fondamentales du blog du disrupteur
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Série : Regards croisés, un état des lieux des écosystèmes startups Africains 
Invités : Benjamin Ngongang et Jean-Patrick Ketcha
Partie 1 – Partie 2

Benjamin Ngongang est le Président d’O.S.E.R. l’Afrique, un réseau associatif créé en 2009, qui promeut le leadership, l’entrepreneuriat, encourage le dialogue entre les jeunes Africains et les jeunes du monde entier intéressés par le développement et la prospérité du continent. Il s’agit d’une initiative qui a pour but d’impliquer la jeunesse Africaine dans la construction de son avenir. Elle possède des représentations dans plus de 10 pays en Afrique, en Europe, et en Amérique. 

Jean-Patrick Ketcha est à l’origine du Boukarou, une structure d’accompagnement à l’entrepreneuriat créée en 2016, qui propose l’entrepreneuriat comme réponse à la précarité sociale qui touche la jeunesse camerounaise, en pariant sur les talents de cette dernière. 

Il existe une pléthore d’articles sur les startups du continent, mais où en sont-elles réellement ? Comment se porte le secteur ? Quelles sont leurs particularités, comment s’inscrivent-elles dans ce monde globalisé ? Quel bilan peut-on réaliser, une dizaine d’années après l’introduction du phénomène sur le continent ? Quelles sont leurs perspectives d’évolution ? Pour apporter des éléments de réponse à ces questions, nous avons invité Benjamin Ngongang, d’Oser l’Afrique, et Jean-Patrick Ketcha, du Boukarou à s’exprimer sur la question.
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Un état des lieux des écosystèmes startups Africains (1)

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Le disrupteur : quels écosystèmes startups peut-on identifier en Afrique ? Quel regard portez-vous sur chacun d’eux ? 
Benjamin Ngongang : comme dans tous les secteurs il est toujours difficile de parler de l’Afrique à l’échelle continentale, car bien qu’elle se représente dans nos imaginaires comme une entité unique, c’est loin d’être le cas sur le terrain et dans la vie de tous les jours. Le continent Africain dispose aujourd’hui de plusieurs écosystèmes startups avec un niveau de dynamisme variable selon qu’on soit au nord, au sud, à l’est ou à l’ouest. Avant d’aller plus loin dans l’analyse de ces écosystèmes j’aimerais d’abord redéfinir ce qu’est une startup parce que le mot est tellement galvaudé aujourd’hui qu’on y met tout et n’importe quoi. Pour être sûr qu’on parle bien de la même chose,
pour moi une startup est une entreprise qui présente les caractéristiques suivantes :
  • généralement petite (en tout cas au début)
  • positionnée sur un marché nouveau voire inexistant, dont le risque est par conséquent difficile à évaluer
  • utilise une technologie nouvelle ou un procédé/processus nouveau résultat de ce qu’on appelle l’innovation
  • a besoin d’un financement important
  • possède un fort potentiel de croissance
La startup ne se définit donc pas par rapport à son secteur mais force est de constater qu’on l’associe beaucoup à l’univers des nouvelles technologies car c’est celui qui a connu les innovations les plus marquantes ces 30 dernières années dans le monde. En Afrique c’est pareil, les écosystèmes les plus dynamiques sont ceux qui sont animés par les hubs et les incubateurs tech. CTIC Dakar au Sénégal, CcHub à Lagos au Nigéria, ActivSpaces à Douala au Cameroun, iHub à Nairobi au Kenya, KLab à Kigali au Rwanda, etc.. je pense qu’à une ou deux exceptions près chacun des 54 pays que compte le continent Africain dispose aujourd’hui d’un ensemble de structures plus ou moins organisées dans le domaine tech. L’ensemble de ces acteurs et des relations qu’ils entretiennent constitue ce qu’on peut qualifier d’écosystème tech. À côté de ce monde 100% tech, il existe d’autres écosystèmes dont on parle moins mais qui sont parfois tout aussi dynamiques, notamment dans les secteurs tels que l’agroalimentaire, la culture, la santé ou le transport.

Jean-Patrick Ketcha : il faut déjà s’entendre sur la définition du mot startup car il est galvaudé ici et là. Globalement une startup est une jeune entreprise dont l’objet de la démarche entrepreneuriale est (ou est supposé être) une innovation technologique. Mais en considérant nous aussi qu’on a une acception large de la startup, on peut identifier deux écosystèmes principaux : l’écosystème des pays de langue anglaise ou anglophone et l’écosystème des pays  de langue française ou francophone.

LD : ces écosystèmes sont-ils aboutis ou en bonne voie de le devenir ? L’usage du terme d’écosystème est-il abusif ? 

JPK : les langues sont très souvent des héritages de la colonisation et/ou de la tutelle de la préindépendance ; l’anglais est donc un héritage de l’Empire britannique, le français celui de l’Empire français. L’un est dynamique, l’autre est amorphe. L’écosystème ou les écosystèmes anglophones sont avancés et efficaces. Plus que des écosystèmes startups, ce sont de vrais écosystèmes dédiés à l’entrepreneuriat dans lesquels l’ensemble des mécanismes mis en place conduisent nécessairement à la naissance d’entités durables qui répondent aux problématiques rencontrées dans leur environnement.

Dans les écosystèmes francophones, il y a une vraie disparité selon les pays. Des pays comme le Sénégal, le Niger et dans une moindre mesure le Bénin, ou le Mali, sont avancés. La Côte d’Ivoire se cherche encore, mais la volonté politique et extérieure est là. Pour quasiment tout le reste, la considération de la startup comme pouvant apporter des solutions réelles est embryonnaire voire inexistante. On sait que c’est bien et qu’il faut en parler, et on en parle parfois plus en mal qu’en bien. Résultat : proche du néant.

La différence entre les contrées anglophones et francophones sur cette question est vraiment nette. Le Rwanda, après s’être tourné complètement vers le monde anglophone, est en train de devenir un vrai pays startup avec des projets qui répondent aux problématiques. Dans les pays francophones, quelques exemples cités mis à part, comme on dit au Cameroun : « c’est la bastonnade ! » Traduction : on fait comme on peut ou on fait pour faire, et si ça donne tant mieux. Sinon ? Tant pis.

BN : quel regard je porte sur ces écosystèmes startups en Afrique ? Je trouve qu’ils sont bouillonnants, parfois désordonnés mais comme partout dans le monde ils se structurent petit à petit, malgré les nombreux freins qui touchent cette région du monde. Il arrive que l’on tombe sur des pépites.  L’écosystème tech est peut-être celui qui est le plus avancé sur le continent compte tenu de la publicité dont il bénéficie depuis une dizaine d’années et des retombées de celle-ci. Il est cependant loin d’être mature, car les décideurs politiques, de même que la population, commencent à peine à prendre conscience du potentiel de ces environnements pour les économies nationales.
Il reste encore beaucoup à faire en ce qui concerne les réformes du cadre juridique de la startup, de l’entreprise de manière générale et de l’investissement pour tendre vers des écosystèmes aboutis. Il est également crucial que la population s’approprie cette transformation et la nourrisse.
LD : trouvez-vous que l’effervescence autour du sujet est justifiée ? Pour quelles raisons ?
BN : je pense que l’effervescence autour de ce phénomène a un fondement réel, car bien que cela ne soit pas aussi structuré et rapide qu’on le souhaite, il y a une véritable transformation en cours des mentalités, des méthodes de travail, des relations de travail et de la diffusion du savoir. Même si 10 % seulement des startups qui naissent aujourd’hui dans ces écosystèmes réussissent le processus de la scalabilité (croissance de la taille tout en maintenant une forte rentabilité) pour devenir des entreprises plus classiques, l’impact sera positif pour le continent. L’effervescence est parfois mal placée je dois l’avouer, car beaucoup d’acteurs recherchent le buzz ou la lumière d’un jour au lieu de travailler sur le long terme. C’est dommage pour eux d’abord, mais parfois aussi pour ceux qui bossent sérieusement.
JPK : la question de l’effervescence sur le sujet global de la startup ou plus précisément de l’entrepreneuriat jeune est justifiée quant à l’importance économique et sociale que peut avoir une startup qui marche dans un environnement donné. En effet, la startup est avant tout une PME ; or un tissu de PME dense va dynamiser une économie, la rendre plus productive. Donc oui, pour cette raison, et parce que la startup peut trouver des moyens innovants pour répondre à des problématiques réelles, on doit s’y intéresser fortement de façon proactive. 
Cette effervescence est moins justifiée quand elle est uniquement liée – et c’est très souvent cas chez les francophones -, à :
  • une volonté du gouvernement de montrer à tout prix qu’il s’intéresse au devenir des jeunes ; une volonté plus politique et communicationnelle que réelle, donc ;
  • une incitation frugale dans une acception du genre « les jeunes, vous avez faim, devenez entrepreneur, vous allez manger ».

Pour finir, il faut quand même dire que l’effervescence est souvent personnalisée chez les francophones ; chez les anglophones on parle plus du dynamisme de l’ensemble. Or cette effervescence personnalisée a un côté buzz qui est en fait un cache-misère : très souvent, les cibles en question sont indifférentes à la valeur vendue par les startups.

 

LD : quels garde-fous peut-on mettre en place pour prévenir les débordements ? À quelles dérives sont sujettes les startups en Afrique ? Quelles sont leurs perspectives, leurs limites ainsi que les opportunités qui s’offrent à elles ?
BN : avant de chercher à poser des gardes fous, il faut bien prendre conscience que chaque mouvement de transformation a son lot de fous. Ce n’est donc pas une spécificité Africaine. Si on remonte aux années 1850 et 1930 en Europe ou encore 1980 en Asie, il y a eu aussi de grands mouvements de transformations économiques et sociales qui ont donné lieu à beaucoup d’effervescence inutile autour, cela n’a pas empêché les travailleurs de fond de réaliser leurs objectifs. Les garde-fous se construisent d’abord par l’observation, il ne faut pas prendre pour argent comptant tout ce qu’on lit, entend ou voit dans les médias, il y a toujours un peu de romance ou de tragédie dans ces comptes rendus. Il faut aller sur le terrain, rencontrer les acteurs, passer du temps avec eux, tester leurs produits, services ou solutions, c’est comme cela que l’on parviendra, petit à petit, à filtrer, tamiser, séparer le bon grain de l’ivraie, les amuseurs des vrais startuppers.
Les opportunités sont énormes pour les startups, car de nombreux secteurs de l’économie sur ce continent sont encore vierges ou peu explorés. À l’intérieur  d’un même pays, on peut retrouver des personnes qui ont tout et des personnes qui manquent de tout, des 4×4 rutilants et des routes non goudronnées, des milliers d’hectares de terres arables mais peu de moyens de stockage ou de transport. Dans ces conditions, les startups ont un terrain d’expérimentation très large. Les limites comme je l’ai dit plus haut se trouvent souvent du côté de la population, qui peut être peu ouverte au changement, pas assez informée ou impliquée, mais aussi du côté des pouvoirs publics, qui tardent à légiférer pour accompagner l’évolution des startups.
Enfin, une limite fondamentale que l’on oublie souvent de citer est celle que se fixent les entrepreneurs eux-mêmes ; s’ils manquent de confiance en eux, s’ils ne sont pas assez innovants, pas assez créatifs pour répondre aux besoins des populations, cela constitue un frein au développement de la startup. Là est la dérive, le mouvement de transformation échouera s’il n’est qu’une pâle copie de ce qui a déjà été fait ailleurs  car changer, se transformer, ce n’est pas devenir l’autre, c’est juste être soit en mieux.
JPK : je trouve que la notion de garde-fou sied mal à la dynamique qui doit être celle d’une startup ; elle peut être perçue comme un frein à une créativité nécessaire. Une startup n’est pas un ovni dont le statut perdure au-delà du nécessaire ; une startup dès qu’elle est créée est une entreprise. Donc certes, il faut construire l’écosystème de façon à ce qu’elle ait le temps de se développer et de se structurer, de façon à subsister dans la fosse aux lions qu’est le monde très réel de l’entrepreneuriat. S’il y a un garde-fou à mettre, c’est celui-là ; le startuppers doit savoir que ce statut particulier qui est le sien en tant que startupper est pour un temps limité qui doit lui servir à se préparer.
Contrairement à ce qui se dit dans les salons occidentaux, autour des petits fours, des bulles de champagne et du jus d’orange bio : l’Afrique ce n’est pas chic, l’Afrique c’est dur !

Les opportunités sont nombreuses car les problématiques à résoudre sont infinies ; chacune des solutions trouvées peut faire l’objet d’une démarche entrepreneuriale.

Une startup est une entreprise avant tout, donc les limites sont celles de l’environnement des affaires et, dans les contrées francophones, une volonté politique favorable qui doit créer ce cadre d’épanouissement des startups. Ensuite, il y a bien sûr une difficulté d’accéder au nerf de la guerre, à savoir le cash pour financer le développement puis l’activité. Enfin, il y a le défi générationnel et en quelque sorte culturel ; dans les systèmes Anglos saxons ou européens, la startup est considérée par les grands groupes, par les pionniers comme une source d’innovation : il y a donc une coopération naturelle qui se fait.

Dans nos contrées Africaines, surtout francophones, ceux qui précèdent n’ouvrent pas forcément la porte à ceux qui suivent.

Au Cameroun par exemple, c’est surtout un moyen de faire de la communication à l’occasion de 3 ou 4 jours dans l’année ou d’Awards remis ici et là (sans vérifier la matérialité ou la réalité du business du « star – tupper » distingué d’ailleurs).

LB : que manque-t-il aux startups pour s’épanouir pleinement ? Qu’en est-il des mesures d’accompagnement prises pour elles dans les différents pays ?
BN : pour grandir et s’épanouir, les startups ont besoin d’accompagnement méthodologique, d’un cadre juridique stable et de soutiens financiers importants. Dans certains pays, on voit des initiatives publiques qui vont dans le bon sens. C’est le cas du Sénégal notamment, où l’État a transmis en 2017 au CTIC Dakar pour sa croissance, plusieurs immeubles administratifs qui n’étaient plus utilisés ce qui a permis au CTIC de tripler sa taille et d’envisager d’accompagner plus de startups dans l’avenir. Le fond souverain Sénégalais a également décidé de prendre des parts dans le fond d’investissement Teranga Capital qui veut financer les startups et les TPE dont les besoins de financement ne dépassent pas les 300 000 €.
Le Rwanda qui est par exemple un pays pionnier en matière de gouvernance publique n’a pas hésité à mandater la startup RwandaOnline en 2014 pour opérer la transformation numérique de tous les services de l’État. Ces mesures d’accompagnement ne doivent pas forcément venir des pouvoirs publics, comme je l’ai dit d’ailleurs plus haut ils sont souvent lents à prendre le train donc il ne faut pas forcément les attendre pour avancer. Des initiatives privées existent aussi. Elles sont initiées par des associations, des ONG, des organisations internationales ou simplement par d’autres entrepreneurs ou entreprises qui veulent tirer les jeunes pousses de l’écosystème vers le haut afin que celui-ci grandisse et se renforce. On peut citer dans ce cadre le programme de Tony Elumelu au Nigeria (TEF – Tony Elumelu Fondation), les nombreux incubateurs, accélérateurs et fonds de capital-risque qui se montent chaque année sur et en direction du Continent. Il faut les encourager.

JPK : l’effervescence, médiatique et occidentale d’ailleurs, constatée plus haut a un effet pervers majeur : elle jette le jeune qui veut se lancer dans un monde difficile sans forcément qu’il soit outillé pour ; on attend de lui performance «  à l’image de » alors que 2 jours plus tôt, il était dans une certaine débrouillardise. En gros la majorité des jeunes qui se lancent dans l’entrepreneuriat, ne sont pas forcément prêt à réussir.

Au Cameroun par exemple, les jeunes qui se lancent ne sont pas forcément prêt à réussir. Ce n’est pas qu’ils n’ont pas de talents, capacités ou de belles idées, au contraire c’est un eldorado d’intelligences diverses. Le problème est au niveau du mindset et de la structuration de leur esprit, de leur engagement à faire ce qu’il faut pour réussir. Pour ne pas arranger, les modèles mis en exergue sont une photocopie de l’instant t ; soit on oublie d’insister sur le parcours et la résilience dont le jeune entrepreneur à succès a fait preuve pour arriver là où il est, soit on présente des profils de réussite dont la qualité est loin d’être entrepreneuriale, mais qui ont réussi à masquer leur médiocrité sur le sujet, à l’aide des réseaux sociaux.

La première chose dont  a besoin le jeune entrepreneur africain pour s’épanouir est un mindset entrepreneurial, formé et dédié à la réussite. Il a notamment besoin de vrais modèles de réussite pour ça. Quand vous allez au Ghana par exemple, vous comprenez que le mindset est là et qu’il est intégré. Les anglophones l’ont assimilé, les francophones, même dans les écosystèmes qui réussissent un peu comme le Sénégal ou le Niger, n’en sont pas encore là. La deuxième chose, qui rejoint d’ailleurs la question des mesures d’accompagnement prises pour les startups, est une vraie volonté politique qui se matérialise par des actes concrets.

Le Rwanda a mobilisé près de 250 millions d’euros pour créer sa « silicon valley » doté d’un fond d’investissement de près de 100 millions d’euros pour réaliser les meilleurs projets. L’objectif affiché est de concurrencer les économies nigérianes et sud-africaines en réalisant un bond technologique et opérationnel sans précédent. Ces trois pays, avec le pionnier qu’est le Kenya, ont une vraie politique vis-à-vis des startups. En Afrique francophone, seule l’Afrique de l’ouest suit un peu, mais cela reste peu comparable à ce qui se fait du côté anglophone, alors qu’on est proche du néant en Afrique centrale. Il faut donc faire de la sensibilisation, parler, montrer, prouver aux entrepreneurs en herbe que cela est possible, en investissant véritablement dans l’entrepreneuriat jeune au-delà des quelques jours de conférences qui lui sont consacrées dans l’année, surtout si c’est dénué de substance et de matérialité.

LB : que pensez-vous des incubateurs et autres structures d’accompagnement ? Pouvez-vous nous donner des exemples pour et contre ?
BN : les structures d’accompagnement en entrepreneuriat sont très importantes mais encore trop peu nombreuses en Afrique. Ce sont des lieux qui acceptent de supporter des coûts importants pour faire éclore ou grandir un écosystème. Un incubateur est avant tout un centre de coût, il faut donc qu’il trouve de l’argent frais quelque part pour offrir du matériel, des conseils, des outils aux entrepreneurs, dans l’espoir que ceux-ci deviendront de grandes entreprises plus tard. Il existe différentes formules d’incubation en Afrique, certaines fonctionnent très bien comme IceAddis en Éthiopie ou Bongo Hive en Zambie, le réseau d’incubateurs AAIN (African Agribusiness Incubators Network) ou le Programme Agro-PME qui mélange action privée et publique pour accompagner des startups. Quand ça ne fonctionne pas c’est généralement par manque d’argent, de compétences ou d’infrastructures. Les gérant d’un incubateur peuvent par conséquent perdre de vue leur objectif parce qu’ils sont pris à la gorge par un besoin important de financement. Il faut que ceux qui ont une bonne capacité financière s’y intéressent que ce soit dans le public ou le privé car les incubateurs sont aujourd’hui des maillons importants de l’écosystème. Ils contribuent à sa structuration.

JPK : que ce soit dans les pays anglophones ou dans les pays francophones, les jeunes ont besoin d’être suivis par des structures d’accompagnement à l’entrepreneuriat pour au moins deux raisons :

  • renforcer voir totalement acquérir les compétences minimales nécessaires pour le stade de développement dans lequel on se situe.
  • appartenir à un réseau stimulant avec d’autres jeunes entrepreneurs, mais qui ont aussi la capacité de connecter avec les parties prenantes importantes comme les financiers ou les politiques.

En Afrique francophone on peut citer le CIPMEN, qui est une SAE (structure d’accompagnement à l’entrepreneuriat) au Niger créée et dirigée par Al Moktar. Cet incubateur a réussi à développer son activité au point d’inclure dans l’écosystème de grands acteurs majeurs de l’économie nigérienne.

En Afrique anglophone on peut prendre pour exemple Impact Hub Ghana qui a réussi à devenir le symbole de la jeunesse ghanéenne qui ose et qui réalise. La différence se joue au niveau du mindset de toutes les parties prenantes, et pas seulement des entrepreneurs. Pour les anglophones c’est intégré, pour les francophones ça l’est moins.

LD : quelles sont les particularités des startups Africaines par rapport à celles du reste du monde ? 

JPK : pourquoi devrait-on observer des particularités structurelles chez les startups Africaines par rapport à celles du reste du monde ? Les particularités peuvent être observées au niveau du produit ou du service, peut-être au niveau des raisons pour lesquelles on entreprend, mais jamais au niveau de la structure. On importe de nombreux biens et services en Afrique, les startups Africaines doivent permettre de faire le chemin inverse. Dans cette optique, elles sont donc en compétition féroce (même si on ne l’observe pas) face à des adversaires autrement outillés. Les startups Africaines ne doivent donc pas être particulières dans la structure afin d’être proches, voire de dépasser ce qui se fait de mieux au monde ; leur différence doit se faire sur le produit et la connaissance de l’environnement de la cible.

La seule différence visible qui puisse peut-être être notée est que derrière le triptyque « problème – solution – mise en œuvre », la raison principale pour laquelle on se lance dans l’entrepreneuriat en Afrique – surtout en Afrique francophone -, est souvent frugale, ce qui n’est pas forcément le cas dans le reste du monde.

 

BN : la startup pour moi se définit de la même façon peu importe la région du globe. Les particularités sont à chercher plutôt dans l’environnement économique, géographique et social. Aux USA, on peut entreprendre dans un garage parce que les parents ont une maison avec garage, mais ce n’est pas le cas forcément dans les pays du continent. L’Afrique ne produit pas le même nombre d’ingénieurs, de médecins ou de professeurs que l’Asie ou l’Europe, elle a donc une force d’innovation différente sur le plan scientifique que ces deux autres régions. Par contre dans le domaine de la culture, l’Afrique est très créative, en dépit du manque d’infrastructures. Cela a peut-être à voir avec ce secteur très particulier et assez libre par essence.

LD : concernant les acteurs de l’univers startups en Afrique, sont-ils suffisamment au fait des caractéristiques singulières de ce type d’organisation ? Sont-ils assez outillés ? Qu’en pensez-vous ? 

BN : les acteurs sont très nombreux dans l’univers startups en Afrique, je ne peux pas les citer tous mais je peux brosser rapidement un profil : jeune, citadin, avec une formation scolaire allant au moins jusqu’au Bac et un réseau international. Je pense qu’ils ne sont pas toujours bien outillés au départ – ce qui est normal -, mais qu’ils apprennent vite et se forment beaucoup sur le tas. Ce sera peut-être moins le cas demain si l’offre d’accompagnement se multiplie et diffuse la culture et la méthodologie entrepreneuriale plus largement.

JPK : il y a des disparités dans la qualité des acteurs de l’univers startup en Afrique. En Afrique anglophone, l’essor de l’écosystème a forcé les gouvernements et autres acteurs à se mettre au diapason ; et ils l’ont fait avec beaucoup de qualité et surtout d’efficacité, même si ce n’est pas encore parfait.

En Afrique francophone, le réveil ou la conscience est d’abord politique, donc le flow général est très politique, ou n’est rien quand il n’existe pas. Mis à part quelques exceptions déjà citées, les acteurs que sont les startups ou les SAE (structure d’accompagnement à l’entrepreneuriat), se battent seules très souvent. Au Cameroun par exemple, bien qu’une stratégie nationale se dessine doucement, le pourquoi réel  tant de l’existence que de l’objectif des startups, sont deux choses totalement absentes ou en tout cas méconnues des décideurs du public et du privé, ce qui conduit à des incongruités, à des insuffisances voire à des erreurs. Ce qui n’incite pas à la formalisation ni à la structuration de l’écosystème qui ne peut donc pas performer pour atteindre ses objectifs de croissance, y compris ceux poursuivis par ces mêmes acteurs. Dans ces pays qui sont comme le Cameroun, un outillage des acteurs est nécessaire car trop peu de responsables sont réellement au fait de la situation.

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Nous espérons que cette première partie vous aura permis d’obtenir certaines réponses, de préciser certaines interrogations, de vous forger votre propre opinion, au-delà de celle des auteurs. Si vous souhaitez apporter votre contribution à la discussion, n’hésitez pas : contactez-nous pour discuter de la publication d’un article ou participez dans les commentaires. Nous retrouverons Benjamin et Jean-Patrick la semaine prochaine pour la suite de cet entretien, abonnez-vous pour être prévenus de sa publication ! A la semaine prochaine.

Un état des lieux des écosystèmes startups Africains (2)

Propos recueillis par Ace. 


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Ace est un passionné de communication et de startups. Autodidacte formé auprès de professionnels du marketing et de la communication, il allie exploration personnelle, pratique du métier et recherche incessante d'amélioration dans une approche intégrative, qui s'intéresse au secteur de façon globale, en le replaçant au centre de l'entreprise. Sa démarche s'attache à formaliser de manière spécifique les problématiques communicationnelles qui touchent les structures en tenant compte de leurs divers niveaux d'organisation.

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