[Regards croisés] Un état des lieux des écosystèmes startups Africains (1)



Un état des lieux des écosystèmes startups Africains (1)

pour moi une startup est une entreprise qui présente les caractéristiques suivantes :
- généralement petite (en tout cas au début)
- positionnée sur un marché nouveau voire inexistant, dont le risque est par conséquent difficile à évaluer
- utilise une technologie nouvelle ou un procédé/processus nouveau résultat de ce qu’on appelle l’innovation
- a besoin d’un financement important
- possède un fort potentiel de croissance
Jean-Patrick Ketcha : il faut déjà s’entendre sur la définition du mot startup car il est galvaudé ici et là. Globalement une startup est une jeune entreprise dont l’objet de la démarche entrepreneuriale est (ou est supposé être) une innovation technologique. Mais en considérant nous aussi qu’on a une acception large de la startup, on peut identifier deux écosystèmes principaux : l’écosystème des pays de langue anglaise ou anglophone et l’écosystème des pays de langue française ou francophone.
JPK : les langues sont très souvent des héritages de la colonisation et/ou de la tutelle de la préindépendance ; l’anglais est donc un héritage de l’Empire britannique, le français celui de l’Empire français. L’un est dynamique, l’autre est amorphe. L’écosystème ou les écosystèmes anglophones sont avancés et efficaces. Plus que des écosystèmes startups, ce sont de vrais écosystèmes dédiés à l’entrepreneuriat dans lesquels l’ensemble des mécanismes mis en place conduisent nécessairement à la naissance d’entités durables qui répondent aux problématiques rencontrées dans leur environnement.
Dans les écosystèmes francophones, il y a une vraie disparité selon les pays. Des pays comme le Sénégal, le Niger et dans une moindre mesure le Bénin, ou le Mali, sont avancés. La Côte d’Ivoire se cherche encore, mais la volonté politique et extérieure est là. Pour quasiment tout le reste, la considération de la startup comme pouvant apporter des solutions réelles est embryonnaire voire inexistante. On sait que c’est bien et qu’il faut en parler, et on en parle parfois plus en mal qu’en bien. Résultat : proche du néant.
La différence entre les contrées anglophones et francophones sur cette question est vraiment nette. Le Rwanda, après s’être tourné complètement vers le monde anglophone, est en train de devenir un vrai pays startup avec des projets qui répondent aux problématiques. Dans les pays francophones, quelques exemples cités mis à part, comme on dit au Cameroun : « c’est la bastonnade ! » Traduction : on fait comme on peut ou on fait pour faire, et si ça donne tant mieux. Sinon ? Tant pis.
Il reste encore beaucoup à faire en ce qui concerne les réformes du cadre juridique de la startup, de l’entreprise de manière générale et de l’investissement pour tendre vers des écosystèmes aboutis. Il est également crucial que la population s’approprie cette transformation et la nourrisse.
- une volonté du gouvernement de montrer à tout prix qu’il s’intéresse au devenir des jeunes ; une volonté plus politique et communicationnelle que réelle, donc ;
- une incitation frugale dans une acception du genre « les jeunes, vous avez faim, devenez entrepreneur, vous allez manger ».
Pour finir, il faut quand même dire que l’effervescence est souvent personnalisée chez les francophones ; chez les anglophones on parle plus du dynamisme de l’ensemble. Or cette effervescence personnalisée a un côté buzz qui est en fait un cache-misère : très souvent, les cibles en question sont indifférentes à la valeur vendue par les startups.
Contrairement à ce qui se dit dans les salons occidentaux, autour des petits fours, des bulles de champagne et du jus d’orange bio : l’Afrique ce n’est pas chic, l’Afrique c’est dur !
Les opportunités sont nombreuses car les problématiques à résoudre sont infinies ; chacune des solutions trouvées peut faire l’objet d’une démarche entrepreneuriale.
Une startup est une entreprise avant tout, donc les limites sont celles de l’environnement des affaires et, dans les contrées francophones, une volonté politique favorable qui doit créer ce cadre d’épanouissement des startups. Ensuite, il y a bien sûr une difficulté d’accéder au nerf de la guerre, à savoir le cash pour financer le développement puis l’activité. Enfin, il y a le défi générationnel et en quelque sorte culturel ; dans les systèmes Anglos saxons ou européens, la startup est considérée par les grands groupes, par les pionniers comme une source d’innovation : il y a donc une coopération naturelle qui se fait.
Dans nos contrées Africaines, surtout francophones, ceux qui précèdent n’ouvrent pas forcément la porte à ceux qui suivent.
Au Cameroun par exemple, c’est surtout un moyen de faire de la communication à l’occasion de 3 ou 4 jours dans l’année ou d’Awards remis ici et là (sans vérifier la matérialité ou la réalité du business du « star – tupper » distingué d’ailleurs).
JPK : l’effervescence, médiatique et occidentale d’ailleurs, constatée plus haut a un effet pervers majeur : elle jette le jeune qui veut se lancer dans un monde difficile sans forcément qu’il soit outillé pour ; on attend de lui performance « à l’image de » alors que 2 jours plus tôt, il était dans une certaine débrouillardise. En gros la majorité des jeunes qui se lancent dans l’entrepreneuriat, ne sont pas forcément prêt à réussir.
Au Cameroun par exemple, les jeunes qui se lancent ne sont pas forcément prêt à réussir. Ce n’est pas qu’ils n’ont pas de talents, capacités ou de belles idées, au contraire c’est un eldorado d’intelligences diverses. Le problème est au niveau du mindset et de la structuration de leur esprit, de leur engagement à faire ce qu’il faut pour réussir. Pour ne pas arranger, les modèles mis en exergue sont une photocopie de l’instant t ; soit on oublie d’insister sur le parcours et la résilience dont le jeune entrepreneur à succès a fait preuve pour arriver là où il est, soit on présente des profils de réussite dont la qualité est loin d’être entrepreneuriale, mais qui ont réussi à masquer leur médiocrité sur le sujet, à l’aide des réseaux sociaux.
La première chose dont a besoin le jeune entrepreneur africain pour s’épanouir est un mindset entrepreneurial, formé et dédié à la réussite. Il a notamment besoin de vrais modèles de réussite pour ça. Quand vous allez au Ghana par exemple, vous comprenez que le mindset est là et qu’il est intégré. Les anglophones l’ont assimilé, les francophones, même dans les écosystèmes qui réussissent un peu comme le Sénégal ou le Niger, n’en sont pas encore là. La deuxième chose, qui rejoint d’ailleurs la question des mesures d’accompagnement prises pour les startups, est une vraie volonté politique qui se matérialise par des actes concrets.
Le Rwanda a mobilisé près de 250 millions d’euros pour créer sa « silicon valley » doté d’un fond d’investissement de près de 100 millions d’euros pour réaliser les meilleurs projets. L’objectif affiché est de concurrencer les économies nigérianes et sud-africaines en réalisant un bond technologique et opérationnel sans précédent. Ces trois pays, avec le pionnier qu’est le Kenya, ont une vraie politique vis-à-vis des startups. En Afrique francophone, seule l’Afrique de l’ouest suit un peu, mais cela reste peu comparable à ce qui se fait du côté anglophone, alors qu’on est proche du néant en Afrique centrale. Il faut donc faire de la sensibilisation, parler, montrer, prouver aux entrepreneurs en herbe que cela est possible, en investissant véritablement dans l’entrepreneuriat jeune au-delà des quelques jours de conférences qui lui sont consacrées dans l’année, surtout si c’est dénué de substance et de matérialité.
JPK : que ce soit dans les pays anglophones ou dans les pays francophones, les jeunes ont besoin d’être suivis par des structures d’accompagnement à l’entrepreneuriat pour au moins deux raisons :
- renforcer voir totalement acquérir les compétences minimales nécessaires pour le stade de développement dans lequel on se situe.
- appartenir à un réseau stimulant avec d’autres jeunes entrepreneurs, mais qui ont aussi la capacité de connecter avec les parties prenantes importantes comme les financiers ou les politiques.
En Afrique francophone on peut citer le CIPMEN, qui est une SAE (structure d’accompagnement à l’entrepreneuriat) au Niger créée et dirigée par Al Moktar. Cet incubateur a réussi à développer son activité au point d’inclure dans l’écosystème de grands acteurs majeurs de l’économie nigérienne.
En Afrique anglophone on peut prendre pour exemple Impact Hub Ghana qui a réussi à devenir le symbole de la jeunesse ghanéenne qui ose et qui réalise. La différence se joue au niveau du mindset de toutes les parties prenantes, et pas seulement des entrepreneurs. Pour les anglophones c’est intégré, pour les francophones ça l’est moins.
JPK : pourquoi devrait-on observer des particularités structurelles chez les startups Africaines par rapport à celles du reste du monde ? Les particularités peuvent être observées au niveau du produit ou du service, peut-être au niveau des raisons pour lesquelles on entreprend, mais jamais au niveau de la structure. On importe de nombreux biens et services en Afrique, les startups Africaines doivent permettre de faire le chemin inverse. Dans cette optique, elles sont donc en compétition féroce (même si on ne l’observe pas) face à des adversaires autrement outillés. Les startups Africaines ne doivent donc pas être particulières dans la structure afin d’être proches, voire de dépasser ce qui se fait de mieux au monde ; leur différence doit se faire sur le produit et la connaissance de l’environnement de la cible.
La seule différence visible qui puisse peut-être être notée est que derrière le triptyque « problème – solution – mise en œuvre », la raison principale pour laquelle on se lance dans l’entrepreneuriat en Afrique – surtout en Afrique francophone -, est souvent frugale, ce qui n’est pas forcément le cas dans le reste du monde.
BN : la startup pour moi se définit de la même façon peu importe la région du globe. Les particularités sont à chercher plutôt dans l’environnement économique, géographique et social. Aux USA, on peut entreprendre dans un garage parce que les parents ont une maison avec garage, mais ce n’est pas le cas forcément dans les pays du continent. L’Afrique ne produit pas le même nombre d’ingénieurs, de médecins ou de professeurs que l’Asie ou l’Europe, elle a donc une force d’innovation différente sur le plan scientifique que ces deux autres régions. Par contre dans le domaine de la culture, l’Afrique est très créative, en dépit du manque d’infrastructures. Cela a peut-être à voir avec ce secteur très particulier et assez libre par essence.
LD : concernant les acteurs de l’univers startups en Afrique, sont-ils suffisamment au fait des caractéristiques singulières de ce type d’organisation ? Sont-ils assez outillés ? Qu’en pensez-vous ?
BN : les acteurs sont très nombreux dans l’univers startups en Afrique, je ne peux pas les citer tous mais je peux brosser rapidement un profil : jeune, citadin, avec une formation scolaire allant au moins jusqu’au Bac et un réseau international. Je pense qu’ils ne sont pas toujours bien outillés au départ – ce qui est normal -, mais qu’ils apprennent vite et se forment beaucoup sur le tas. Ce sera peut-être moins le cas demain si l’offre d’accompagnement se multiplie et diffuse la culture et la méthodologie entrepreneuriale plus largement.
JPK : il y a des disparités dans la qualité des acteurs de l’univers startup en Afrique. En Afrique anglophone, l’essor de l’écosystème a forcé les gouvernements et autres acteurs à se mettre au diapason ; et ils l’ont fait avec beaucoup de qualité et surtout d’efficacité, même si ce n’est pas encore parfait.
En Afrique francophone, le réveil ou la conscience est d’abord politique, donc le flow général est très politique, ou n’est rien quand il n’existe pas. Mis à part quelques exceptions déjà citées, les acteurs que sont les startups ou les SAE (structure d’accompagnement à l’entrepreneuriat), se battent seules très souvent. Au Cameroun par exemple, bien qu’une stratégie nationale se dessine doucement, le pourquoi réel tant de l’existence que de l’objectif des startups, sont deux choses totalement absentes ou en tout cas méconnues des décideurs du public et du privé, ce qui conduit à des incongruités, à des insuffisances voire à des erreurs. Ce qui n’incite pas à la formalisation ni à la structuration de l’écosystème qui ne peut donc pas performer pour atteindre ses objectifs de croissance, y compris ceux poursuivis par ces mêmes acteurs. Dans ces pays qui sont comme le Cameroun, un outillage des acteurs est nécessaire car trop peu de responsables sont réellement au fait de la situation.
. . . .
Nous espérons que cette première partie vous aura permis d’obtenir certaines réponses, de préciser certaines interrogations, de vous forger votre propre opinion, au-delà de celle des auteurs. Si vous souhaitez apporter votre contribution à la discussion, n’hésitez pas : contactez-nous pour discuter de la publication d’un article ou participez dans les commentaires. Nous retrouverons Benjamin et Jean-Patrick la semaine prochaine pour la suite de cet entretien, abonnez-vous pour être prévenus de sa publication ! A la semaine prochaine.
Un état des lieux des écosystèmes startups Africains (2)
Propos recueillis par Ace.
Le coin des experts est une rubrique du blog du disrupteur. Elle accueille les contributions de personnes ayant une certaine expérience en entrepreneuriat, en communication, en marketing ou dans n’importe quel autre domaine connexe. Le but de cet espace est de permettre au public cible de profiter de l’expérience des professionnels des différents secteurs d’intérêt. Les opinions énoncées sont celles de leurs auteurs respectifs. Elles ne sauraient être imputées à la plateforme ou à son propriétaire.
A reblogué ceci sur L’ŒIL DE REGINA.
J’aimeAimé par 1 personne