[Regards croisés] Un état des lieux des écosystèmes startups Africains (2)



Un état des lieux des écosystèmes startups Africains (2)

JPK : encore une fois, l’impact réel des startups sur le quotidien s’observe différemment selon la zone d’intérêt. Dans les pays anglophones, les écosystèmes se sont presque créés d’eux-mêmes, sous l’impulsion des porteurs de projets qui avaient la volonté de répondre à des problématiques contextuelles. De ce fait les startups existent pour répondre aux besoins des populations. Au Kenya, au Rwanda – des modèles sur le continent -, c’est le cas dans 99,99 % des startups, comme M-PESA au Kenya ou les efforts colossaux pour une agriculture performante et efficiente au Rwanda. Ces pays font penser d’ailleurs à la Startup Nation de référence qu’est Israël où les pastèques du « désert » sont plus sucrées que dans certains pays qui ont des terres 1 million de fois plus fertiles.
Dans les pays francophones, sauf exceptions déjà citées (Sénégal, Niger, etc…), on a la mauvaise habitude de vouloir copier-coller des modèles extérieurs, certes en les tropicalisant parfois, mais très souvent sans se poser la question de la correspondance à un besoin, voir à un besoin primordial. Nombreux sont les « want to be » Uber Africains qui sont nés et ont coulé en moins de 12 mois. On ne peut pas empêcher un créateur de se lancer, je pense qu’il ne faut pas forcément brider l’appétence entrepreneuriale, pas assez répandue, de nos jeunes. La réplication des concepts et le buzz médiatique précoce doivent laisser la place à la conscientisation au niveau du mindset. Deux messages au moins doivent passer :
- « vos compatriotes ont de nombreux problèmes, de nombreux besoins, il faut les aider à les résoudre »
- « vous devez créer non pas des marques Africaines, mais des marques mondiales capables de dépasser ces concurrents venus d’ailleurs chez vous ; vous devez créer des marques fortes ! »
JPK : la coopération grand groupe / startup dans le monde est souvent faite dans le cadre de ce qu’on appelle l’open innovation. Un grand groupe a besoin de se réinventer, de disrupter son modèle régulièrement au risque de se mettre en grand danger – comme Express Union au Cameroun face au mobile money. Les géants américains sont nombreux à s’être installés au Kenya pour développer localement des solutions pour le continent. Le Rwanda avec son Innovation City à 250 millions d’euros, se positionne sur les mêmes créneaux. Une telle coopération doit cependant être encadrée pour qu’elle ne subisse pas la loi du business ou le fort, prédateur par essence, dévore le faible. Il faut donc un cadre juridique bien pensé, une volonté politique affirmée, ainsi qu’une préparation des promoteurs afin que ces derniers soient à même de gérer ce type de relation.
une startup qui se contente d’enchaîner les concours sur une année c’est inquiétant, il faut à un moment donné revenir travailler au développement de son entreprise.
JPK : tout dépend des concours en question. Il y en a qui sont bien organisés, et d’autres qui servent à rien, si ce n’est faire de la pub pour les organisateurs ou leur constituer une banque de données d’idées à exploiter. Mais dans tous les cas, si on met le bien ou le mal fondé de ces concours de côté, deux choses peuvent être très intéressantes :
- les récompenses en numéraire peuvent servir de seed funding (financement de départ) pour certaines startups, voire plus à l’image de celle d’Alain Nteff (Gifted mom) ;
- le réseau qu’on peut s’y constituer en mode « boostrapping » ;
- et surtout : voir la valeur des autres pays, voir ce qui se fait ailleurs. À la finale du concours EDF Pulse Africa, les candidats du Kenya étaient à la fois d’une simplicité et d’une force étonnantes et alléchantes. Les finalistes camerounais se sont pour la plupart dit « mince, ils sont forts ! ».
Après il ne faut pas passer son temps à faire des concours et ne pas développer son projet.
JPK : se globaliser où ? Hors d’Afrique ? Quel intérêt réel à l’heure où le monde entier veut être présent chez nous ? Il y a tout à faire en Afrique ; c’est un continent qu’il faut préparer à accueillir 1 milliard d’habitants. Ceci ayant été posé, plusieurs raisons peuvent expliquer ces difficultés, j’en citerais au moins trois :
- la copie systématique de concepts existants ailleurs sans innovation réelle : pourquoi le marché extérieur s’ouvrirait-il à un plat galvaudé sans ingrédients nouveaux ? Il possède déjà la recette originale.
- le « think local, act global » chanté ici et là ne correspond pas à la réalité ou aux qualités des porteurs de projets : très souvent ils ne retiennent que le Act global, donc le produits n’est ni local, ni global, ni rien du tout même. Les pasteurs, trop nombreux, de cette expression doivent arrêter de mentir aux destinataires de leurs prêches marketing qui doivent se réveiller.
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pour finir, les marques occidentales ou américaines qui viennent chez nous ne viennent pas seules, elles viennent en meute, en écosystème organisé, pas en projet, produit ou service singleton.
JPK : les startups africaines n’ont pas à apporter au reste du monde, elles ont bien assez de travail sur leur continent. Il faut en revanche qu’elles se mettent aux standards mondiaux pour être compétitives. Leur force est à la fois leur faiblesse : trop miser sur l’originalité.
LD : y a-t-il un(des) leadership(s) fort(s), identifié(s), au sein des différents écosystèmes/environnements du continent ?
BN : il existe des structures plus ou moins visibles dans les écosystèmes nationaux évoqués ci-dessous. Mais je ne sais pas si on peut parler de leadership dans ce contexte. Il y en a peut-être dont le rôle de catalyseur est renforcé grâce à leur réseau mais au quotidien une startup c’est d’abord son ou ses fondateur(s) et leurs équipes. Ce sont eux qui font que ça marche ou pas, et pas un quelconque leader extérieur.
LD : existe-t-il une politique commune comme dans la Silicon valley ou en Europe ?
BN : faut-il que la comparaison se fasse à ce niveau ? L’Afrique ne doit pas et ne peut pas ressembler aux USA ou à l’Europe, donc je ne pense pas qu’on doit essayer d’identifier un lien de similitude avec l’un ou l’autre. La bonne question pour moi c’est quelle politique se donne les États Africains ou l’Afrique en tant qu’organisation politique pour faire avancer ses écosystèmes startups ?
JPK : chaque pays à sa politique. Certains prennent le chemin de la Silicon Valley comme le Kenya, ou le Rwanda, voire la Côte d’Ivoire. D’autres réussissent à construire des espaces qui se débrouillent. La présidence rwandaise de l’Union Africaine devrait permettre une interconnexion des écosystèmes et opérationnaliser un début de politique commune africaine.
LD : Les hommes politiques ont-ils un rôle à jouer dans l’essor des écosystèmes startups Africains ?
BN : dans des pays comme le Nigeria, le Kenya, le Ghana, l’Égypte, l’Afrique du Sud, la Côte d’Ivoire, le Rwanda, le Cameroun, L’Éthiopie, le Togo et le Bénin, les hommes politiques commencent à prendre conscience du mouvement startup et ont déjà mis en place certaines réformes ou appuis, en déployant des infrastructures d’accompagnement publiques, ou en donnant accès à la fibre optique par exemple. Ou encore en facilitant les mesures d’ouverture d’entreprise.
Les états doivent continuer de s’impliquer en créant de véritables codes entrepreneuriaux qui prennent en compte les spécificités locales.
Il faut aussi penser à tout ce qu’il y a autour et qui impacte directement ou indirectement le fonctionnement des startups : les routes, les structures de santé, l’éducation. Les hommes politiques joueront véritablement leur rôle vis-à-vis des startups s’ils travaillent tout simplement à rendre les pays d’Afrique meilleurs sur tous les plans.
JPK : les questions de la jeunesse et de l’entrepreneuriat sont cruciales pour tous les pays et sont donc plus ou moins traitées par les hommes politiques de ces pays. Il est évidemment essentiel que les décideurs politiques se saisissent de la question car les choses ne peuvent fonctionner sans cadre légal incitatif. En outre, le politique est le premier protecteur face à l’extérieur, il doit donc nécessairement prendre des décisions fortes pour impulser le mouvement ou lui donner une autre ampleur. Paul Kagame est un exemple de dynamisme politique qui peut provoquer un écosystème durable au Rwanda et même en Afrique.
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Nous remercions Benjamin Ngongang et Jean-Patrick Ketcha d’avoir bien voulu nous accorder de leur temps, afin de partager avec nous leurs points de vue sur les écosystèmes et les environnements startups Africains. Nous espérons qu’au terme de cet entretien croisé, vous aurez obtenu certains éléments de réponse à vos interrogations, qu’il aura contribué à étayer votre propre opinion, au-delà de celle des auteurs. Si vous souhaitez apporter votre contribution à la discussion, n’hésitez pas : contactez-nous pour discuter de la publication d’un article ou participez dans les commentaires, cet espace existe pour vous.
Propos recueillis par Ace.
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