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[Regards croisés] Un état des lieux des écosystèmes startups Africains (2)

Les 5 valeurs fondamentales du blog du disrupteur
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Série : Regards croisés, un état des lieux des écosystèmes startups Africains 
Invités : Benjamin Ngongang et Jean-Patrick Ketcha
Partie 1 – Partie 2

Benjamin Ngongang est le Président d’O.S.E.R. l’Afrique, un réseau associatif créé en 2009, qui promeut le leadership, l’entrepreneuriat, encourage le dialogue entre les jeunes Africains et les jeunes du monde entier intéressés par le développement et la prospérité du continent. Il s’agit d’une initiative qui a pour but d’impliquer la jeunesse Africaine dans la construction de son avenir. Elle possède des représentations dans plus de 10 pays en Afrique, en Europe, et en Amérique. 

Jean-Patrick Ketcha est à l’origine du Boukarou, une structure d’accompagnement à l’entrepreneuriat créée en 2016, qui propose l’entrepreneuriat comme réponse à la précarité sociale qui touche la jeunesse camerounaise, en pariant sur les talents de cette dernière. 

Nous continuons notre analyse globale des écosystèmes et environnements startups du continent avec nos invités. Vous trouverez la première partie de cet entretien croisé ici. La dernière fois, Jean-Patrick Ketcha et Benjamin Ngongang nous ont parlé de la réalité, ainsi que des opportunités et des dérives associées à ces deux concepts. Dans cette seconde partie, ils nous entretiennent des différentes synergies auxquelles ils donnent lieu.
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Un état des lieux des écosystèmes startups Africains (2)

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LD : quel est l’impact réel des startups africaines sur le quotidien des populations cibles ? comment l’améliorer ? 
BN : comme je l’ai dit au début, il y a beaucoup de brouhaha autour des écosystèmes startups  en Afrique, cependant trop peu d’acteurs ont atteint la taille suffisante pour impacter une part significative de la population. Il faut néanmoins nuancer cette réalité, pour des écosystèmes qui ont moins de 20 ans nous n’avons pas à en rougir. Des initiatives comme celle de la startup M-Kopa, fondée en 2010 au Kenya proposent aux kenyans vivant sans électricité ni accès au réseau national d’acheter de l’énergie solaire à la journée, via un système d’électricité prépayée. Chaque kit M-kopa permet ainsi aux foyers clients d’éclairer 3 ampoules pour l’équivalent d’environ 43 centimes d’euros par jour. En 8 ans la startup a fourni en energie solaire plus de 400.000 foyers au Kenya, 75.000 en Ouganda et 50.000 en Tanzanie. Elle crée de nouveaux emplois localement chaque mois pour soutenir sa croissance. D’autres exemples comme celui-là peuvent être cités ; celui de Wecyclers par exemple, fondé à Lagos en 2012 pour collecter une partie des déchets de la ville en impliquant la population par un système de gamification ou encore la plateforme citoyenne Ushaidi crée en 2008 pour localiser et vérifier les actes de violence durant la crise électorale qui a secoué le pays en 2008.

JPK : encore une fois, l’impact réel des startups sur le quotidien s’observe différemment selon la zone d’intérêt. Dans les pays anglophones, les écosystèmes se sont presque créés d’eux-mêmes, sous l’impulsion des porteurs de projets qui avaient la volonté de répondre à des problématiques contextuelles. De ce fait les startups existent pour répondre aux besoins des populations. Au Kenya, au Rwanda – des modèles sur le continent -, c’est le cas dans 99,99 % des startups, comme M-PESA au Kenya ou les efforts colossaux pour une agriculture performante et efficiente au Rwanda. Ces pays font penser d’ailleurs à la Startup Nation de référence qu’est Israël où les pastèques du «  désert » sont plus sucrées que dans certains pays qui ont des terres 1 million de fois plus fertiles.

Dans les pays francophones, sauf exceptions déjà citées (Sénégal, Niger, etc…), on a la mauvaise habitude de vouloir copier-coller des modèles extérieurs, certes en les tropicalisant parfois, mais très souvent sans se poser la question de la correspondance à un besoin, voir à un besoin primordial. Nombreux sont les « want to be » Uber Africains qui sont nés et ont coulé en moins de 12 mois. On ne peut pas empêcher un créateur de se lancer, je pense qu’il ne faut pas forcément brider l’appétence entrepreneuriale, pas assez répandue, de nos jeunes. La réplication des concepts et le buzz médiatique précoce doivent laisser la place à la conscientisation au niveau du mindset. Deux messages au moins doivent passer :

  1. « vos compatriotes ont de nombreux problèmes, de nombreux besoins, il faut les aider à les résoudre »
  2. « vous devez créer non pas des marques Africaines, mais des marques mondiales capables de dépasser ces concurrents venus d’ailleurs chez vous ; vous devez créer des marques fortes ! »
LD : que pensez-vous de l’association grands groupes / startups Africaines ? est-elle bénéfique à l’une et à l’autre des parties, ou les rapports sont-ils inégaux ? que faire dans ce cas pour les rééquilibrer ? 
BN : chaque partie essaye de tirer profit  de ce type de relation lorsqu’elle existe . Ces grands groupes étaient déjà présents en Afrique, ils cherchent de nouveaux relais de croissance et les stratups peuvent les aider. C’est difficile d’imaginer qu’on puisse équilibrer les rapports mais si la relation entre grands groupes et startups entraîne des problèmes il faut que la startup puisse le faire savoir et qu’elle se fasse accompagner si besoin.

JPK : la coopération grand groupe / startup dans le monde est souvent faite dans le cadre de ce qu’on appelle l’open innovation. Un grand groupe a besoin de se réinventer, de disrupter son modèle régulièrement au risque de se mettre en grand danger – comme Express Union au Cameroun face au mobile money. Les géants américains sont nombreux à s’être installés au Kenya pour développer localement des solutions pour le continent. Le Rwanda avec son Innovation City à 250 millions d’euros, se positionne sur les mêmes créneaux. Une telle coopération doit cependant être encadrée pour qu’elle ne subisse pas la loi du business ou le fort, prédateur par essence, dévore le faible. Il faut donc un cadre juridique bien pensé, une volonté politique affirmée, ainsi qu’une préparation des promoteurs afin que ces derniers soient à même de gérer ce type de relation.

LD : quel est votre sentiment sur la multiplication des concours de startups ? Les startuppers font-ils bien d’y participer ?
BN : les concours peuvent être très stimulants pour les startups, c’est généralement l’occasion de communiquer sur ce qu’on fait, de remporter un peu d’argent qui servira pour les fonds propres, et de récolter des conseils. Ceci dit,
une startup qui se contente d’enchaîner les concours sur une année c’est inquiétant, il faut à un moment donné revenir travailler au développement de son entreprise.

JPK : tout dépend des concours en question. Il y en a qui sont bien organisés, et d’autres qui servent à rien, si ce n’est faire de la pub pour les organisateurs ou leur constituer une banque de données d’idées à exploiter. Mais dans tous les cas, si on met le bien ou le mal fondé de ces concours de côté, deux choses peuvent être très intéressantes :

  • les récompenses en numéraire peuvent servir de seed funding (financement de départ) pour certaines startups, voire plus à l’image de celle d’Alain Nteff (Gifted mom) ;
  • le réseau qu’on peut s’y constituer en mode « boostrapping » ;
  • et surtout : voir la valeur des autres pays, voir ce qui se fait ailleurs. À la finale du concours EDF Pulse Africa, les candidats du Kenya étaient à la fois d’une simplicité et d’une force étonnantes et alléchantes. Les finalistes camerounais se sont pour la plupart dit « mince, ils sont forts ! ».

Après il ne faut pas passer son temps à faire des concours et ne pas développer son projet.

LD : à votre avis, pourquoi les startups du continent ont-elles du mal à s’exporter ailleurs ? 
BN : les startups ont du mal à s’exporter parce qu’elles sont souvent d’abord pensées pour un marché national (au sein du pays où elles ont vu le jour) ou régional sur le continent Africain (ex : les startups du Kenya ou du Rwanda pensent de plus en plus en termes de marché Est Africain). Il faut ensuite beaucoup de capital pour maintenir la startup à flot et financer son développement à l’international. Lorsque l’investissement sera plus conséquent, les startups auront la capacité de se projeter plus facilement au-delà de leur territoire national ou régional.

JPK : se globaliser où ? Hors d’Afrique ? Quel intérêt réel à l’heure où le monde entier veut être présent chez nous ? Il y a tout à faire en Afrique ; c’est un continent qu’il faut préparer à accueillir 1 milliard d’habitants. Ceci ayant été posé, plusieurs raisons peuvent expliquer ces difficultés, j’en citerais au moins trois :

  • la copie systématique de concepts existants ailleurs sans innovation réelle : pourquoi le marché extérieur s’ouvrirait-il à un plat galvaudé sans ingrédients nouveaux ? Il possède déjà la recette originale.
  • le « think local, act global » chanté ici et là ne correspond pas à la réalité ou aux qualités des porteurs de projets : très souvent ils ne retiennent que le Act global, donc le produits n’est ni local, ni global, ni rien du tout même. Les pasteurs, trop nombreux, de cette expression doivent arrêter de mentir aux destinataires de leurs prêches marketing qui doivent se réveiller.
  • pour finir, les marques occidentales ou américaines qui viennent chez nous ne viennent pas seules, elles viennent en meute, en écosystème organisé, pas en projet, produit ou service singleton.

LD : de rares startups rejoignent les écosystèmes français et  américains, quel est le but de cette démarche ? en quoi peut-elle être bénéfique ou néfaste ? que gagne le pays d’accueil ? le pays de départ perd-il quelque chose  ou peut-il tirer parti de cette immigration ? Comment peut-il le freiner ?
BN : il s’agit du même type de relation que celle évoquée plus haut concernant les grands groupes. À défaut de trouver les soutiens qu’elles recherchent dans leur pays d’origine, les startups africaines vont saisir ce qu’elles considèrent comme des opportunités de croissance du business et de la visibilité, en rejoignant ou en collaborant avec des écosystèmes européens, américains ou asiatiques.  Ce sont également de solides labels grâce auxquels elles pourront trouver des fonds. Tout comme dans le cas de la fuite des cerveaux, le pays d’origine perd forcément quelque chose mais les entrepreneurs africains sont généralement très patriotes, et souhaitent véritablement apporter leur contribution à la transformation du continent. Par conséquent, même si les startuppers partent un temps hors du continent, ils reviennent pour la plupart quand même poursuivre le travail sur le terrain. Ce n’est donc qu’une perte temporaire pour l’Afrique en attendant que les structures d’accompagnement et les écosystèmes africains se renforcent, pour que ces startups n’aient plus besoin d’aller chercher le soutien hors d’Afrique.
JPK : ceux qui rejoignent ces écosystèmes le font parce que l’écosystème d’accueil juge intéressant de les accompagner dans leur développement. Il n’y a pas vraiment de problème à cela. Au pire on considérera cela comme tu transfert de connaissances et de compétences Sud – Nord. Dans le pays de départ, ces entités ne se développeraient peut-être pas de la même manière, avec le même succès. Le pays d’accueil gagne de la compétence et de la qualité et bien sûr, la primeur des innovations. Sinon pourquoi perdre de l’énergie sur ce qui est un phénomène rare ? Toutefois, s’il faut prendre des mesures afin de limiter ce phénomène, elles doivent tendre à transformer l’environnement pour le rendre propice à la sédentarisation de ces talents.
LD : que peuvent apporter les startups africaines au reste du monde ? quelles sont leurs atouts et leurs faiblesses ? comment peuvent elles s’améliorer ?
BN : l’Afrique n’est pas hors du monde, elle en fait partie au même titre que les autres régions. Les startups africaines peuvent donc apporter des solutions au monde sur les grands enjeux du moment notamment le développement durable, la réduction des conflits, la sécurité alimentaire, le renforcement des liens sociaux,… autant de challenges sur lesquels l’Afrique possède une expérience très riche qu’elle peut partager avec le monde à travers ses startups entre autres. Il faut avant tout pour cela que ces dernières puissent poursuivre le processus de scalabilité jusqu’au bout afin d’avoir les moyens de déployer les innovations qu’elles proposent à une échelle globale.
Ceci dit, toutes les entreprises n’ont pas vocation à atteindre une dimension globale. Donc certaines startups ne dépasseront jamais l’échelle nationale. Tant qu’elles répondent à un besoin social et qu’elles restent rentables, on peut considérer qu’elles atteignent leurs objectifs.

JPK :  les startups africaines n’ont pas à apporter au reste du monde, elles ont bien assez de travail sur leur continent. Il faut en revanche qu’elles se mettent aux standards mondiaux pour être compétitives. Leur force est à la fois leur faiblesse : trop miser sur l’originalité.

LD : y a-t-il un(des) leadership(s) fort(s), identifié(s), au sein des différents écosystèmes/environnements du continent ?

BN : il existe des structures plus ou moins visibles dans les écosystèmes nationaux évoqués ci-dessous. Mais je ne sais pas si on peut parler de leadership dans ce contexte. Il y en a peut-être dont le rôle de catalyseur est renforcé grâce à leur réseau mais au quotidien une startup c’est d’abord son ou ses fondateur(s) et leurs équipes. Ce sont eux qui font que ça marche ou pas, et pas un quelconque leader extérieur.

LD : existe-t-il une politique commune comme dans la Silicon valley ou en Europe ?

BN : faut-il que la comparaison se fasse à ce niveau ? L’Afrique ne doit pas et ne peut pas ressembler aux USA ou à l’Europe, donc je ne pense pas qu’on doit essayer d’identifier un lien de similitude avec l’un ou l’autre. La bonne question pour moi c’est quelle politique se donne les États Africains ou l’Afrique en tant qu’organisation politique pour faire avancer ses écosystèmes startups ?

JPK : chaque pays à sa politique. Certains prennent le chemin de la Silicon Valley comme le Kenya, ou le Rwanda, voire la Côte d’Ivoire. D’autres réussissent à construire des espaces qui se débrouillent. La présidence rwandaise de l’Union Africaine devrait permettre une interconnexion des écosystèmes et opérationnaliser un début de politique commune africaine.

LD : Les hommes politiques ont-ils un rôle à jouer dans l’essor des écosystèmes startups Africains ?

BN : dans des pays comme le Nigeria, le Kenya, le Ghana, l’Égypte, l’Afrique du Sud, la Côte d’Ivoire, le Rwanda, le Cameroun, L’Éthiopie, le Togo et le Bénin, les hommes politiques commencent à prendre conscience du mouvement startup et ont déjà mis en place certaines réformes ou appuis, en déployant des infrastructures d’accompagnement publiques, ou en donnant accès à la fibre optique par exemple. Ou encore en facilitant les mesures d’ouverture d’entreprise.

Les états doivent continuer de s’impliquer en créant de véritables codes entrepreneuriaux qui prennent en compte les spécificités locales.

Il faut aussi penser à tout ce qu’il y a autour et qui impacte directement ou indirectement le fonctionnement des startups : les routes, les structures de santé, l’éducation. Les hommes politiques joueront véritablement leur rôle vis-à-vis des startups s’ils travaillent tout simplement à rendre les pays d’Afrique meilleurs sur tous les plans.

JPK : les questions de la jeunesse et de l’entrepreneuriat sont cruciales pour tous les pays et sont donc plus ou moins traitées par les hommes politiques de ces pays. Il est évidemment essentiel que les décideurs politiques se saisissent de la question car les choses ne peuvent fonctionner sans cadre légal incitatif. En outre, le politique est le premier protecteur face à l’extérieur, il doit donc nécessairement prendre des décisions fortes pour impulser le mouvement ou lui donner une autre ampleur. Paul Kagame est un exemple de dynamisme politique qui peut provoquer un écosystème  durable au Rwanda et même en Afrique.

.   .   .   .

Nous remercions Benjamin Ngongang et Jean-Patrick Ketcha d’avoir bien voulu nous accorder de leur temps, afin de partager avec nous leurs points de vue sur les écosystèmes et les environnements startups Africains. Nous espérons qu’au terme de cet entretien croisé, vous aurez obtenu certains éléments de réponse à vos interrogations, qu’il aura contribué à étayer votre propre opinion, au-delà de celle des auteurs. Si vous souhaitez apporter votre contribution à la discussion, n’hésitez pas : contactez-nous pour discuter de la publication d’un article ou participez dans les commentaires, cet espace existe pour vous.

Propos recueillis par Ace. 


Le coin des experts est une rubrique du blog du disrupteur. Elle accueille les contributions de personnes ayant une certaine expérience en entrepreneuriat, en communication, en marketing ou dans n’importe quel autre domaine connexe. Le but de cet espace est de permettre au public cible de profiter de l’expérience des professionnels des différents secteurs d’intérêt. Les opinions énoncées sont celles de leurs auteurs respectifs. Elles ne sauraient être imputées à la plateforme ou à son propriétaire. 

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About Ace (70 Articles)
Ace est un passionné de communication et de startups. Autodidacte formé auprès de professionnels du marketing et de la communication, il allie exploration personnelle, pratique du métier et recherche incessante d'amélioration dans une approche intégrative, qui s'intéresse au secteur de façon globale, en le replaçant au centre de l'entreprise. Sa démarche s'attache à formaliser de manière spécifique les problématiques communicationnelles qui touchent les structures en tenant compte de leurs divers niveaux d'organisation.

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