Cas d’école : Femme d’influence change son logo, une décision stratégique lourde de sens
Je vois les gars de l’assistance grimacer, sourire. Allez, un peu de courage messieurs, ça va être intéressant ! J’ai choisi de me pencher sur cette étude de cas parce qu’elle fait école, qu’elle couvre un nombre de concepts important, et qu’elle fait partie d’une démarche globale. On y va ?
Contexte
Femme d’Influence est un magazine en ligne féminin lancé il y a 1 an et 7 mois par Sarah Yakan, une fondatrice à la fois discrète et efficace. Sa croissance rapide – la page Facebook est passée de 0 à 575 938 followers en ce laps de temps -, ainsi que les multiples copycats dont elle a fait l’objet indiquent une forte demande pour ce genre de publications. Le magazine a en effet opté pour un positionnement audacieux, pas très populaire de prime abord : celui de parler du pouvoir des femmes, sous quatre aspects principaux ; l’entrepreneuriat, le développement personnel, l’apparence, les relations amoureuses et amicales.
Fait troublant pour une entreprise aussi jeune, elle a changé de logos deux fois, et s’apprête à le changer pour la troisième fois en l’espace de moins de deux ans. Une fois n’est pas coutume, je ne vais pas scanner le paysage digital de la marque, mais concentrer cette étude sur un point particulier de son identité visuelle. Penchons-nous sur le vecteur d’identité principal de l’entreprise : son logo.
Le logo en question
Logo est un usage courant du mot « logotype », dont la racine grecque, « logos », signifie parole. C’est un vecteur essentiel de la prise de parole de l’entreprise, puisqu’elle caractérise son identité. Prenons un exemple prosaïque. Lorsqu’une personne que vous ne connaissez pas prend la parole, la première question que vous vous posez est « qui est-ce ? » Choisissons autre chose. Lorsque l’on veut vérifier votre identité, l’on vous demande un papier d’identité qui atteste… Eh bien, de votre identité, rires. Tout cela afin de répondre à la fameuse question de façon certaine, « qui êtes vous ? » Le logo répond à cette question dans le cas des marques, mais pas de façon certaine. Si vous avez le malheur de choisir un logo qui se rapproche de celui d’autres marques, il y a de grandes chances pour que votre discours soit noyé dans la masse.
L’utilisateur moyen ne retient que 10 logos à la fin de la journée, songez un peu ; dix logos parmi les trois milliers de marques auxquelles il est exposé le jour durant ! Si vous souhaitez avoir une chance qu’il se souvienne de vous, mieux vaut opter pour un logo clair, à fort impact émotionnel, et vecteur de qualité (nécessaire à la confiance implicite). Ce dernier point n’a rien à voir avec la nature de votre activité, tout avec votre client. Une marque qui transmet sa nature à travers son logo a toutes les chances de retenir son attention. La qualité est une notion intéressante, qui ne signifie pas la même chose pour tout le monde.
Changer de logo
Comme je l’ai indiqué plus haut, Femme d’Influence est sur le point de changer de logo pour la troisième fois (bien que ce soit déjà le cas d’une certaine façon, puisqu’il y a un logo intérimaire sur sa page Facebook). Si vous avez le choix, ne changez de logo que si la situation l’exige. L’un des cas les plus courants est que vous avez choisi un logo comme l’on fait ses courses au marché, c’est-à-dire de façon arbitraire. Vous n’avez pas réfléchi aux différentes connotations qu’il véhicule, et vous vous rendez compte que le logo n’est pas en phase avec votre proposition de valeur, qu’elle soit immatérielle (identité et positionnement) ou matérielle (produit et / ou service) ou qu’il est difficile à décliner sur les différents supports sur lesquels vous devez l’apposer (cela va de l’emballage produit aux voitures de service en passant par le rapport interne de l’entreprise)
Si, en revanche, le logo n’est plus pertinent pour votre ligne directrice (vous avez pivoté ou vous faites l’objet d’une fusion / acquisition), ou en décalage avec la nouvelle époque, cela signifie que votre logo précédent est en train de mourir de sa belle mort, car devenu inadapté à vos objectifs stratégiques. Il y a un autre cas, celui où votre logo a une connotation inopportune. C’est la raison pour laquelle Femme d’Influence effectue ce troisième changement. Contrairement au premier, celui-ci est pertinent.
Note : changer de logo aussi fréquemment ne fera que vous desservir. Que penseriez-vous d’une personne qui se présente à vous avec deux papiers d’identité différents, sur lesquels il a deux visages distincts ? Qu’il s’agit d’une personne peu recommandable. Un logo, comme une photo d’identité, doit permettre de reconnaître votre marque. C’est un gage de confiance, un pont, un contrat entre votre cible et vous. Le changer sans raison valable, surtout s’il est adapté, c’est donner une impression fantaisiste, peu fiable donc.
Les différents logos de Femme d’Influence
Logo 1
Il s’agit du tout premier, celui avec lequel le monde l’a découvert. Sourire. En tant que communicant, nous sommes charmés du soin avec lequel il a été construit. Avant les couleurs, les formes.
Les formes
Le cercle extérieur : gage d’évolution, de féminité et de calme. Il évoque une femme tranquille, posée. Sûre d’elle et dont la croissance est visible.
Le carré intérieur : il reflète l’état d’esprit. Il symbolise la rationalité, ainsi que la solidité. Il inscrit l’évolution du cercle dans le temps, et l’ancre dans une démarche cohérente.
Les initiales
Ce sont celles du nom de la marque, Femme d’Influence. Un petit bémol, à l’attention de ceux qui ont prévu d’exporter leur marque à l’étranger : Femme d’Influence peut se traduire par Woman of Power en anglais. Je vois mal la marque se décliner en WP, ça rappelle WordPress. Il y aurait une confusion inopportune. Si le magazine a l’intention de s’internationaliser hors des pays francophones en conservant le logo à l’identique, cela posera un problème de compréhension et de déclinaison. Un logo qui se décline différemment est un logo dont les différentes déclinaisons sont difficiles à unifier. Cela ne pose en revanche aucun souci pour une marque locale.
La signification des couleurs
Rose : le rose est l’alliance du rouge et du blanc. « C’est la couleur des filles », pour parler comme les enfants. Bien qu’assez audacieux dans cette configuration (le magazine s’adresse à des femmes dont l’âge varie entre 22 et 35 ans), cela permet d’identifier clairement la cible : les femmes. C’est une couleur dynamique et délicate, à l’instar des fleurs éponymes. Moins agressive que le rouge, elle suggère une séduction plus classe, presque tendre. Elle parle également de jeux, de joie, de bonheur même, comme dans l’expression « voir la vie en rose ». Le rose est la couleur de la transition, qui traduit le passage de la jeune fille en fleur à la femme mûre, cœur de cible du magazine.
Une couleur à utiliser avec parcimonie, une utilisation excessive fait basculer la meilleure intention dans le mauvais goût. Bien qu’il ne soit pas du goût de tout le monde, son usage est réussi ici. Il a l’avantage de permettre de différencier la marque de la cohorte de ses copycats.
Noir : la couleur de l’élégance et de la distinction. Un choix judicieux, qui contrebalance la vivacité du rose. Il atténue son côté frivole, parle de sérieux, et enveloppe de mystère la femme évoquée par la première couleur. Beau jeu.
Ce logo a été changé il y a six mois pour une raison qui nous échappe. Son remplaçant est assez particulier, vous allez voir.
Logo 2
Vous ressentez un certain malaise ? C’est normal. Comme celui de Procter&Gamble dans les années 80, ce logo a plongé les lecteurs du magazine dans la suspicion ; ce symbole n’était-il pas une marque illuminati ? Le lectorat afro pétri de puritanisme n’a pas aidé. La marque, consciente de ce biais psychologique, a tenté d’expliquer son choix :
○ : le coeur du changement
▵ : symbole de l’élévation
♀ : symbole de la femme
Cela n’a pas marché. Florilège des réactions les plus plébiscitées :
« Le logo fait peur en tout cas… Le symbole féminin donne un effet croix renversé et puis la pyramide et tout…je suis vraiment pas à l’aise avec tout çà… Sorry. »
« Hyper bizarre ce logo. Je me demandais à quelle page il appartenait. Je vois le nom « Femme d’Influence » Non franchement ça colle pas du tout. »
« Le choix du logo est très mauvais. Femme d’influence ayant des rubriques parlant de la Foi, il y a un très grand paradoxe avec la croix à l’envers et le triangle. Je suis très déçue… »
« Pas du tt bon ce logo. ….la croix renversée le triangle ….vaut mieux plus se faire influencer par vous … »
« Pourtant ils ont eu le temps de remarquer que plusieurs des abonnés n’aiment pas ce logo mais ils font rien c’est dommage c’était ma page phare mais là c’est juste me désabonner qu’il reste à faire … Le triangle(pyramide) personne ici n’est gamin pour savoir que c’est un signe beaucoup utilisé par les satanistes et en plus ça veut Berner avec des explications c’est nul »
Bon. Vous vous rappelez du cas des logos qui ont une connotation inopportune dont nous avons parlé plus haut ? Celui-ci est un bon exemple. Le magazine devait changer de logo, c’est évident. La question est : pourquoi maintenant, 6 mois après ? La raison évoquée est « le retour à un peu plus de simplicité ». Nous aurions parlé d’un retour aux sources mais toutes les raisons ne sont pas à communiquer.
Note : attendre pour procéder à un changement de logo de cette nature est préjudiciable. Cela se solde non seulement en perte de confiance en la marque, mais également en manque à gagner substantiel dans certains cas.
Le logo intérimaire
A l’occasion de la célébration de ses 500 000 followers Facebook, le magazine a changé son logo en un simple FI sur fond noir traversé par des volutes de fumée. Une mise en scène discrète du changement de logo en cours ? Quoi qu’il en soit, c’est à la fois une bonne et une mauvaise idée.
C’est une bonne idée parce que cela permet de marquer la rupture avec le logo précédent, « le plus tôt sera le mieux » comme on a coutume de le dire.
C’est une mauvaise idée car le plus tôt est passé il y a un moment. Et puis, opter pour une communication participative en demandant aux internautes de choisir un logo, pour remplacer le logo supposé être remplacé par un logo temporaire… Il faut le faire. Cela étant, ce logo va finalement être changé, ce dont l’on ne peut que se féliciter.
Les logos alternatifs
Je ne parviens pas à m’en procurer les images. Vous les trouverez ici.
Le logo 1′
Le premier diffère du logo 1 par le cercle extérieur noir, et non plus rose, ainsi que par un cercle intérieur rose en bordure du premier. On peut donc distinguer trois cercles concentriques ; noir – rose -noir. Cela fait ressembler le logo à un badge. Une évolution intéressante en termes d’implication sous-jacente. Sourire.
Le logo 2′
Le second logo proposé nous transporte dans l’univers des super-héroïnes ! Rires. Les caractères sont en minuscule, ce qui suggère une certaine humilité, mais la police choisie ainsi que les caractères en italique sont simplement trop fantaisistes. On observe le même liseré que précédemment, avec les trois cercles concentriques, à une différence notable près : le « f » déborde du cadre. Très… Héroïque. Sourire. Ce logo siérait plus à un comic (une BD) qu’à un magazine féminin.
Le logo 3′
Le troisième logo est le logo 1.
Mon avis
Le choix des internautes, tout comme le mien, se partage entre les logos 1′ et 3′. Tant qu’à évoluer, j’opte pour le logo 1′, plus sobre que le premier. Il va falloir le changer sur tous les supports du magazine, une opération fastidieuse.
Remarque : nous observons une continuité de couleurs et d’initiales entre le premier logo, le logo intérimaire, et les derniers logos proposés, ce qui est une excellente chose. Le magazine a retenu la leçon de la rupture brutale, et non préparée qu’a été l’adoption du logo 2. Le second logo paraît une lubie, disons-le. Une bonne intention qui a tourné aigre. Heureusement, la marque montre à sa communauté qu’elle l’écoute en revenant aux valeurs premières, qu’elle n’a, du reste, jamais trahi qu’en photo.
Ce qu’il faut retenir
- Le choix d’un logo est une affaire sérieuse, une décision stratégique à long terme, qui a des conséquences sur le discours de la marque, et sa relation avec sa cible et ses aficionados.
- Un logo ne se change pas n’importe comment, et pas tout le temps. Il est gage de stabilité, il doit donc être le plus pérenne possible.
- Si changement il y a, il doit être la conséquence d’une situation réelle, et comprise par tous. Il est nécessaire de procéder à une communication spécifique du changement auprès de la cible, comme Captain Train qui devient Trainline en douceur. La transition ici est une rupture non déguisée, elle est clairement articulée et donne le temps de s’habituer au changement, tout en rassurant la cible à ce propos.
Ace, @ledisrupteur
Retrouvez l’interview de Sarah Yakan, l’entrepreneure derrière Femme d’influence magazine, en cliquant ici.
Votre commentaire